Un monde incertain et sans avenir.
Les marchés financiers jouent – sans jeux de mots – aux montagnes russes. Elles augmentent fortement et chutent tout aussi profondément. Montées et descentes trouvent leur cause dans un indicateur pour le moins étrange, les cours du pétrole. Il est passé de moins de 30 dollars au début de l’année 2016 à plus de 38 dollars début mars. Dans la lignée, les cours des Bourses haussent. Il n’empêche que la tendance à la baisse subsiste en fonction d’une prévision faible de la croissance mondiale.
Échec de la politique monétaire de la BCE
L’incertitude domine le monde. Un des indicateurs les plus visibles, les cours de l’or. Ils remontent fortement sur les marchés de matières premières exprimant le doute sur l’avenir. Dans un contexte où la déflation sévit dans tous les pays capitalistes développés. L’indice des prix à la consommation dans la zone euro a baissé de 0,2% en février 2016 faisant la preuve à la fois que la surproduction était présente et que la politique de la BCE ne parvenait pas à réaliser l’objectif prévu de 2% d’inflation. La croissance mondiale est estimée, pour 2016, à moins de 3% suivant toutes les institutions, du FMI à l’OCDE. Pour la zone euro, elle devrait être de l’ordre de 1,5% si la crise financière ne vient pas bousculer tous les pronostics.
Devant cette conjoncture, les banques centrales ont réagi. La BCE a suivi une politique de « Quantitative Easing » (Q/E) soit une, jamais vue, création monétaire de l’ordre de 60 milliards d’euros par mois qu’elle devrait poursuivre jusqu’au premier trimestre de 2017, soit 1500 milliards d’euros mis sur les marchés financiers. Cette intervention se traduit, principalement,1 par l’achat d’obligations d’États des pays de la zone euro sur le marché secondaire faisant ainsi baisser drastiquement les taux d’intérêt des emprunts de la dette publique avoisinant désormais pour la France 0,9% pour les titres à 10 ans. A 8 ans, les taux d’intérêt sont proches de zéro sinon négatifs. Cette orientation se traduit aussi par de faibles taux directeurs et d’escompte, de l’ordre de 0,005% permettant aux banques de se refinancer facilement. Dans le même mouvement, la BCE a mis en œuvre des taux d’intérêt négatif – moins 0,30% en février 2016, il pourrait atteindre moins 0,40 – de rémunération des dépôts au jour le jour des banques dans ses coffres pour les sommes déposées au-delà des réserves obligatoires.2 Ces taux d’intérêt négatifs, visent, suivant le discours tenu par Mario Draghi, le président de la BCE, à orienter les crédits mis à la disposition des banques vers le financement de l’économie, investissements des entreprises et consommation des ménages en favorisant l’augmentation de l’inflation devenue un indicateur de la reprise économique.
Cette politique monétaire est un échec en regard des objectifs. Elle a réussi dans un seul domaine. Éviter la chute durable des cours sur les marchés financiers, en ce qui concerne les titres. En d’autres termes éviter le krach après la chute des bourses chinoises à partir du milieu d’août 2015. Fournir aux acteurs financiers des liquidités en grand nombre et à bas prix permet d’alimenter la poursuite de la spéculation à la hausse sans trouver de solution à la surproduction. Cette politique est en train de trouver ses limites y compris sur ce terrain. La troisième crise financière depuis août 2007 – août 2011 fut la deuxième – est en train de se développer sans que les gouvernements s’y intéressent un tant soit peu. La dernière réunion du G20 a été symptomatique. Pas un mot.
Toutes les banques centrales, y compris celle de la Chine, ont suivi cette même politique expansive. Une exception, la FED qui a décidé le 16 décembre 2015, d’augmenter ses taux d’intérêt provoquant ainsi la hausse du dollar vis-à-vis non seulement de l’euro mais aussi des autres monnaies notamment celle des pays émergents. Ipso facto le montant du service de la dette de ces pays a augmenté provoquant des situations de départ massif des capitaux dits « flottants » et une remontée brutale de l’inflation. Janet Yellen, la présidente de la FED, veut conserver quelques munitions en cas de krach. Pour le reste, toutes les banques centrales n’ont quasiment plus de capacités d’intervention. La crise financière sera plus profonde que les deux précédentes suivies, comme à l’accoutumée, d’une récession qui visera davantage la Chine et les pays de la zone euro que les États-Unis selon toute vraisemblance. Les banques européennes sont déjà dans le collimateur via les banques italiennes submergées de créances douteuses et la Deutsche Bank, une des grandes banques de la zone euro, qui a annoncé des pertes importantes.
La BCE a compris le danger de la déflation et de la crise financière. Elle a, au milieu de février 2016, « renforcer » ses interventions en baissant le taux directeur à 0%, augmentant son Q/E, de 60 à 80 milliards d’euros et en élargissant l’éventail de ses achats, plus seulement les tires de la dette d’État mais aussi celle des grandes entreprises. Elle a relancé la spéculation à la hausse sur les marchés financiers. Les cours de la Bourse ont augmenté.
Dans le contexte actuel,, la politique monétaire devrait se poser la question d’agir directement sur l’économie en orientant les crédits vers la construction des infrastructures nécessaires pour répondre à l’urgence de la crise écologique et des mutations climatiques. Au lieu de passer par l’intermédiaire des banques. La hausse des investissements permettrait de créer des emplois et de favoriser une croissance réconciliée avec l’éthique.Mario Drahui déclare se poser la question de donner de l’argent directement aux ménages pour alimenter la croissance… On vit une époque formidable…
Le reste dépend de la politique économique. La politique d’austérité ne répond en rien aux nécessités économiques de l’heure. Un « choc de la demande » est nécessaire pour lutter contre la déflation et, par-là même, la surproduction. Il faudrait augmenter les salaires, créer des emplois par la baisse du temps de travail pour hausser le marché final et sortir du marasme actuel tout en diminuant l’impact de cette crise financière et économique. Poursuivre dans cette voie, répondre aux besoins directs et à court terme du patronat est une absurdité. Le gouvernement a oublié que la vision d’un capitaliste n’est pas la bonne mesure. Il ne peut avoir de vision d’avenir. Il est bloqué dans le passé… Les gouvernements aussi du coup faute de définition d’une orientation à long terme, d’un récit comme disent les politologues.
Un monde éclaté.
Les perspectives de faible croissance et de montée des inégalités3 sont des facteurs d’éclatement interne, de montée de l’extrême droite dans des groupes industriels et financiers qui voient s’évanouir la figure du patron. Contre qui se battre ? Des fonds, qu’ils soient d’investissement, de pension ou hedge funds ? Il faut définir un projet de société pour ce faire, refonder un programme de transformations sociales.
La baisse des prix du pétrole, passer depuis 2014 à plus de 100 dollars à 38 dollars, a été présentée comme un facteur favorable pour la croissance des pays de la zone euro. C’était oublier ses conséquences négatives sur les pays producteurs et exportateurs de pétrole qui voit leur rente baissée. Un certain nombre d’entre eux s’étaient servi de cette manne – telle l’Algérie – pour acheter la paix sociale à coups de subventions. Ils ne pourront plus le faire. De nouvelles guerres sont prévisibles, guerres qui, à l’instar de la Syrie, ne seront plus d’État à État. Les conflits sont plus difficiles à réguler. L’Arabie Saoudite, premier producteur mondial, a visiblement décidé d’augmenter ses parts de marché pour l’avenir et elle veut la mort de tous les nouveaux producteurs d’hydrocarbure de schiste. D’ores et déjà plus de 50 entreprises américaines de ce secteur ont fait faillite.4 La surproduction est loin d’être terminée dans ce secteur. La baisse des cours risquent de se poursuivre.
La Chine, devenue la deuxième économie mondiale, est touchée par ce qui se révèle une énorme crise de surproduction due à un changement de modèle de développement. Passage d’une économie tirée par la croissance des pays capitalistes développés via les exportations avec comme moyen la baisse du coût du travail pour baisser les prix et gagner des parts de marché tout en réalisant un profit maximum à une croissance tirée par l’augmentation du marché intérieur, marché intérieur qu’il faut construire de toutes pièces. Un passage difficile pour le pouvoir en place qui a besoin d’une forte croissance pour se maintenir au pouvoir. Un nouveau facteur d’éclatement et d’incertitude.
Enfin l’avenir de la zone euro et de l’Union Européenne est profondément menacé. Non pas par la soi disant crise migratoire – ces migrations révèlent plutôt l’état du monde – que par son absence de politiques communes, par son incapacité politique. Brexit or not, cette construction est fortement menacée.
Les tendances centrifuges en cours renforcent l’incertitude comme l’absence d’un avenir prévisible et rendent les risques de crise inéluctable. La classe ouvrière, pour exister, a besoin d’une visibilité programmatique, d’une réponse globale à cette crise systémique du capitalisme.
Nicolas Béniès.