Les inégalités comme révélateur d’un monde sans avenir.
A juste raison, Bertrand Badie note dans son introduction à « L’État du monde 2016 », « Un monde d’inégalités », que « les inégalités ont du mal à s’imposer comme thème d’étude et comme objet d’action publique ». Il faut y apporter un bémol. Pour l’action des États, c’est une évidence. Les riches deviennent de plus riches et le nombre de pauvres augmente en même temps que la pauvreté s’approfondit dans l’ensemble des pays capitalistes développés; La protections sociale, en ce qui concerne la France, est de moins en moins à même d’amortir ces inégalités de revenu. Pour le thème d’étude, mis à part Piketty, les rapports de l’OFCE, « L’économie française 2016 » et celui du CEPII, « L’économie mondiale 2016 » font la part belle à la prise en compte de cette réalité.
Cri d’alarme
Ces trois rapports lancent un cri d’alarme. L’accroissement des inégalités, qu’elles soient verticales en terme de d’écarts de revenu ou horizontales, sur le terrain des différences de statut, est une bombe à retardement qui risque de faire éclater toute société. La colère et la violence provoquent des jacqueries qui participent d’une profonde crise politique. Plus encore les très riches refusent l’impôt et, par-là même, toute forme de solidarité avec les pauvres. La lutte contre les inégalités est inscrite, pourtant, dans la crise systémique que traverse le capitalisme. Les réduire conduirait à la fois à plus de cohésion sociale et à favoriser la croissance. L’éthique rejoint ici l’économique.
Dans cette économie mondiale qui connaît un processus de mondialisation et se définit comme inégale et combinée, l’interpénétration des pays devrait nécessiter une réflexion générale sur les conditions du développement à commencer par la nécessité de nourrir les populations. Que la famine et la disette puissent encore exister en dit long sur la barbarie de notre monde.
Ces rapports ont un autre point commun. Ils reconnaissent la profondeur de la crise existante depuis août 2007. L’équipe du CEPII écrit que « les cadres d’analyse passés sont devenus obsolètes » et celle de l’OFCE que « le PIB français est dans une phase atypique depuis 7 ans »., dans un contexte où le commerce mondial ralentit provoquant une exacerbation de la concurrence comme la déflation. Les banques centrales ont intégré cette nouvelle dimension en pratiquant des politiques monétaires non conventionnelles sans réussir, à elles seules, à inverser la tendance. Les politiques d’austérité accentuent les écarts de revenu sans permettre de sortir des crises superposées. Plus encore, les inégalités se traduisent par une instabilité financière renforcée.
Solution politique ?
Les scénarios, comme souvent, se veulent optimistes. Celui de l’OFCE en particulier qui voudrait que la politique de Hollande réussisse. Ils limitent leur vision rose en mettant en avant des conditions qui portent en premier lieu sur l’environnement européen et international qui est loin d’être porteur comme le souligne le CEPII et…le FMI.
Comme souvent, ces deux rapports sous-estiment la crise financière venant désormais de Chine (voir mon article dans le dernier US Mag). Le monde d’aujourd’hui est dominé par l’incertitude qui devrait donner plus d’importance à la politique et à l’intervention citoyenne pour définir un avenir commun qui passe par le combat contre les mutations climatiques et la crise écologique vecteurs supplémentaires d’inégalités.
Nicolas Béniès
« Un monde inégalitaire, l’État du monde 2016 », sous la direction de Bertrand Badie et Dominique Vidal ; « L’économie mondiale 2016 », CEPII et « L’économie française 2016 », OFCE, collection Repères, ces trois livres aux éditions La Découverte.