Stagnation ou dépression
Le gouvernement français table, dans son projet de budget pour 2015, sur une croissance de 1%. Soit, dans tous les cas de figure, une très faible augmentation des richesses produites. Cette hausse ne permettra pas de baisser le nombre de chômeurs. Si elle a lieu…
Les estimations de croissance du PIB, pour 2014, tournent autour de 0,4% sans tenir compte des incertitudes géopolitiques, « les nouvelles guerres », ni des risques d’éclatement des « bulles » spéculatives diverses qui se sont construites dans la plupart des pays capitalistes développés, à commencer par la Grande-Bretagne, grâce à la création monétaire sans frein.
Comme le démontre Michel Aglietta dans le dossier « Dette publique et politique monétaire dans la zone euro »,1 la question n’est pas celle de la dette publique mais bien celle de la dette privée. Le processus de désendettement actuel des entreprises accentue le risque de la spirale déflationniste et gèle toute possibilité de financement des investissements productifs. La politique monétaire seule, celle de la BCE en l’occurrence, n’est pas suffisante pour inverser la tendance. Il faudrait une action combinée des politiques monétaires et budgétaires au sein de la zone euro pour permettre de sortir du marasme actuel.
La BCE, et son président Mario Draghi, a bien compris le contexte récessioniste. Elle a donc baissé son taux directeur pour arriver à un plancher historique de 0,05%. Dans le même temps, ce 4 septembre, elle a annoncé que son taux de dépôt passait de –0,1% à –0,2% et qu’elle mettait à la disposition des banques des prêts dits à long terme (plus d’un an) pouvant atteindre au total 400 milliards d’euros par le biais d’un TLTRO pour Targeted Long Term Refinancing Operations (soit opérations ciblées de refinancement à long terme), des prêts aux banques proportionnels à leur stock de crédit au secteur privé non financier et hors immobilier. La volonté de la BCE est claire. Favoriser les prêts des banques aux entreprises pour financer, à taux très bas, les investissements et faire repartir la croissance. Le taux de dépôt négatif devrait empêcher les banques de déposer leurs liquidités inemployées dans les coffres de la BCE.
Des mesures inusitées, à la limite des traités, pour éviter la dépression qui va de pair avec la déflation. La baisse des prix est un indicateur de la profondeur de la récession comme le montre la crise de 1929.
Les bons esprits d’aujourd’hui oublient un peu trop vite l’histoire économique. Dans la lignée du rapport du CEPII – Centre d’Etudes Prospectives et d’Informations Internationales -, « L’économie mondiale 2015 »,2 Patrick Artus préfèrent parler de « lowflation », de faible inflation en donnant sa définition de la déflation qui se produit « lorsque le ralentissement de la hausse des prix ne peut plus être accompagné par une diminution correspondante des taux d’intérêt ». Il évite ainsi de caractériser la conjoncture et éviter de se poser la question des causes. Ouvrons donc un « Dictionnaire de l’économie »3, « Déflation, baisse du niveau général des prix, généralement associée à une contraction de l’activité économique. » La question des taux d’intérêt est une conséquence. Les taux d’intérêts « réels », la différence entre le taux nominal et le taux de hausse des prix (l’inflation), ne peuvent qu’être positifs provoquant la spirale de la baisse des prix et de la dépression.
Ce processus déflationniste dans lequel la zone euro est en train d’entrer devrait susciter des réactions et pas seulement de la BCE mais aussi des Etats pour élaborer une politique économique capable de combattre la déflation. Elle passe par une politique budgétaire de relance, par une augmentation des dépenses publiques pour alimenter le marché final. La hausse de la consommation permettra de donner de l’oxygène aux entreprises et aux salarié(e)s. Toutes les enquêtes de l’INSEE montrent que les entreprises ont besoin de cet appel d’air pour investir.
Toutes les politiques des gouvernements de la zone euro est un non-sens, même dans le cadre de la logique du Capital.
La peur du Medef se trouve sur le terrain social. Augmenter les salaires redonne de la force aux autres revendications des salarié(e)s et alimente la lutte des classes. Gattaz veut profiter de la faiblesse actuelle des salariés pour conduire des « réformes structurelles », autrement dit la casse programmée de toutes les conquêtes des salarié(e)s y compris celles remontant au 19e siècle, déstructurant durablement la classe ouvrière. Tous ces bons esprits libéraux s’abritent derrière la soi-disant nécessité de diminuer les déficits publics et la dette publique alors que la grande majorité des économistes, Joseph Stiglitz en tête, dénonce les ravages de cette politique d’austérité qui mine profondément la légitimité des gouvernements et, au-delà, de l’action politique. Elle alimente la démagogie du Front national et lui donne l’apparence du bon sens renforçant ainsi sa « respectabilité ». La crise politique est durable. Elle s’ajoute à la crise financière, toujours possible et la crise économique et sociale.
Pour résumer : tous les moteurs de la croissance – investissement, consommation des ménages – sont hors service. La baisse actuelle du cours de l’euro, résultat à la fois de la politique monétaire de la BCE et de celle, contraire, de la FED, a comme objectif de hausser les exportations des pays de la zone. Mais, la grande majorité des échanges s’effectue au sein de la zone et, d’autre part, la balance commerciale allemande est déjà largement excédentaire. Dans le contexte actuel de ralentissement de la croissance en Chine – passage de 10 à 7% -, en Inde particulièrement, la concurrence internationale s’exacerbera. La compétitivité de l’économie allemande pourrait ne pas résister. Il serait temps que le gouvernement allemand s’interroge sur l’avenir de son modèle.
L’euro est toujours menacé. Sa crise est latente et ne pourrait être résolue que par des initiatives et des constructions politiques.
Le spectre de la crise financière rode. Le FMI a mis en garde contre le développement du « Shadow banking », un marché évalué entre 38 000 et 60 000 milliards de dollars. Ce serait la réglementation bancaire plus contraignante qui expliquerait cette expansion, d’après le Fonds. En fait, c’est plutôt des bénéfices rapides très élevé de cette finance de l’ombre qui conduit son explosion comme le recyclage de l’argent sale dans un ensemble de poursuites des innovations financières qui avait conduit à la crise dite des subprimes. Cette crise pourrait approfondir la récession…
Nicolas Béniès, le 6 octobre 2014