« Tracer » la route.
Et si l’histoire des États-Unis s’écrivait plus à travers les chansons, les blues, le jazz ? La route, la voiture a toujours été synonymes de liberté dans ce pays marqué par le mythe de « la frontière », aller plus loin pour éviter l’asservissement, devenir son propre maître. Un mythe sur lequel s’est construite à la fois l’utopie et la culture. Les « westerns », la conquête de l’Ouest en sont des avatars. La réalité est pourtant loin de ce rêve. Dans cette formation sociale, le capitalisme ne s’est pas heurté aux modes de production antérieurs. Cette colonie de peuplement a importé le capitalisme des pays d’Europe. En même temps que le mouvement ouvrier. On ne se souvient pas suffisamment que, dans les années 20-30, le socialisme est une idée forte et influence la plupart des intellectuels. Il faudra la « chasse aux sorcières » de l’après seconde guerre mondiale dans le cadre de la guerre froide pour éradiquer cette alternative, avec l’aide indirecte du stalinisme.
Le génocide programmé de tous les peuples, les nations qui ont précédé les immigrations européennes, l’esclavage des Africains déportés en masse ont été passés par pertes et profits comme rançon du progrès. Le racisme, du coup comme le raconte John Lee Burke – un auteur du Sud des Etats-Unis -, fait partie intégrante de la construction et de la réalité américaine. Il obscurcit aussi la lutte des classes et les frontières de la lutte syndicale. Sur ce terrain « La croisade de Lee Gordon » de Chester Himes est un témoignage incontournable même si c’est un roman.
Quel rapport avec la route ? C’est ici dans cette espace, comme le montre les « road movies », que se conjugue fuite, liberté, utopie anti capitaliste pour créer un autre monde. Tant que la voiture roule dans des paysages changeants, rien ne peut arriver. Une nouvelle fraternité naît, une fraternité qui ne va pas sa s affrontement. « Duel » de Spielberg en est un exemple. Un film métaphysique mais auquel on croit parce qu’il s’agit de la route.
Bruno Blum, dans ce coffret de 3 CD, « Road Songs car tune classics 1942 – 1962 », nous propose un voyage dans l’espace temps de ces années 1942 – 1962. Pour découvrir ces Etats-Unis pré-hippies, ces Américains épris d’une liberté à laquelle ils et elles ne peuvent pas accéder sinon par la mort. Le film « Thelma et Louise » en est un exemple.
Un voyage donc qui mêle tous les genres de musique. Débuter par « Route 66 » était d’une rare évidence d’autant que Nat « King » Cole a livré plusieurs versions de cette chanson de Bobby Troup qui se contente de citer les endroits où il faut passer pour aller de Chicago – vieille ville avec une histoire architecturale spécifique, une sociologie, une place particulière et première dans l’histoire du jazz et du blues – à L.A., Los Angeles ville qui n’a qu’une existence virtuelle et deviendra connu par son « usine à rêves », Hollywood.
N’hésitez pas, prenez place. Les chanteurs comme Pete Seeger ou Woody Guthrie ne pourront être oubliés. Ils s’adressent aux travailleurs et leur chantent « Cette terre est votre terre, ce pays est votre pays ». Rien d’étonnant à ce qu’ils aient subi l’ostracisme des producteurs et des radios au service des intérêts capitalistes…
Nicolas Béniès
« Road Songs car tune classics 1942 – 1962 », Frémeaux et associés distribué par Socadisc.