Université populaire sur le jazz, année 2012-2013.
Cette année le thème sera les Villes du jazz, musique, littérature et société. Je commencerai pas Chicago.
Dans ce cadre, je recopie un article que j’avais publié en janvier 2000 en hommage à Lester Bowie, trompettiste de l’Art Ensemble of Chicago, décédé à ce moment là.
Vous le trouverez ci-dessous
A Lester Bowie, avec toute ma révolte qui fut aussi la sienne…
Lester Bowie, beaucoup s’en souvienne, fut le trompettiste habillé d’une blouse blanche de pharmacien – sans doute pour annoncer la mort de l’ordre ancien – de l’Art Ensemble Of Chicago, un quatuor intimement mêlé à mai 68. Ces quatre là, peints comme des Indiens sur le sentier de la guerre, l’avaient déclaré sans que personne n’y prenne vraiment garde. C’est un tort. Ils étaient là, à Paris avant et après mais 68. Ils ont scandé notre révolte, notre volonté de changer le monde. Eux, ils avaient participé à Chicago, Lester en tête, à la fondation de l’AACM – sous l’égide du pianiste Richard Muhal Abrams -, une association pour permettre aux musiciens créatifs de jouer ensemble et de trouver des engagements. Ces années 60 voient aussi apparaître les Black Panthers, les mobilisations contre la guerre du Vietnam et le free jazz. Celui qui fait encore peur. Et c’est tant mieux.
Lester Bowie avait pourtant une carrière toute tracée dans le blues et le R&B. Il a accompagné quasiment tout le monde. Une bête de studio. Il faut dire qu’il avait de qui et de quoi tenir. Né le 11 octobre 1941 à Frederick dans le Maryland, il a grandi à Saint Louis dans le Missouri, la ville natale de Miles Davis et a commencé l’étude de la trompette à 5 ans. Il savait tout de l’instrument et a tout découvert des révoltes nécessaires qu’il savait faire passer dans cette sonorité de trompette. Elle se souvenait de tout. Soudain, il ne terminait pas ces phrases commencées et les remplaçait par une note murmurée. Comme si le souffle de la vie ne savait plus comment sortir, comment s’exprimer. Comme si la mort ne pouvait que triomphé.
Elle a gagné ce soir du 8 novembre 1999. Il a pourtant réussi son coup. Ce 10e anniversaire de la chute du Mur de Berlin, ce sera aussi celui de sa mort. Un anniversaire que nous fêteront pour raviver sa mémoire et ne pas le laisser aux marchands du temple, lui qui voulait un autre monde. Une juste revanche. Avec Lester Bowie, c’est un peu de nous-mêmes qui meurt. Pendant longtemps nous aurons 58 ans.
Nicolas BENIES.
Orientation discographique.
L’Art Ensemble a enregistré pour Byg en 1969. Puis pour EMI-France et Atlantic (aujourd’hui sous l’égide de Warner, WEA), enfin pour ECM – label qui vient d’avoir 30 ans représentant une forme de quintessence de l’après mai 68 – distribué par Universal. Leurs derniers albums sont sur DIW (distribué par Sony). Les albums Byg (repris par Charly un presque pirate anglais) sont incontournables, comme les deux albums Atlantic, Bap-Tizum enregistré «live » en 1972 et Fanfare For the Warriors de 1973 à Chicago.
A partir du début des années 80, Lester Bowie avait constitué sa Brass Fantasy, souvenir des fanfares de la Nouvelle Orleans revisité par tout le free jazz, et les rythmes de ce moment là, le reggae en particulier. Un condensé des musiques vivantes. Les premiers albums sont disponibles sous le label ECM.
Les bibliothèques du jazz n’en finissent pas de brûler…
Lester Bowie n’est pas parti tout seul. Cette année 1999 a vu la disparition en janvier de Michel Petrucciani, au moment où il voulait ouvrir une école internationale de jazz, suivie en février d’un autre pianiste, Jacky Byard dont le nom était associé à celui de Charles Mingus. Il venait d’effectuer une tournée en France, un album Jazz Friends (un label français) en témoigne. Des chanteurs Joe Williams à 80 ans, mort sur les trottoirs de Los Angeles alors qu’il venait de quitter l’hôpital et rentrait chez lui, Leon Thomas dont la réputation datait de sa collaboration avec Pharoah Sanders et aimait lier des tyroliennes – peut-être le souvenir des guitares hawaïennes – avec les grandes envolées lyriques chères à Coltrane, Bobby Troup, surtout connu comme auteur-compositeur de Route 66, Mel Tormé à la voix de brouillard de velours, aussi acteur, écrivain et autre chose. Ernie Wilkins, trompettiste, arrangeur et conducteur d’orchestre, Harry « Sweets » Edison, trompettiste lui aussi qui avait influencé le précédent, connaissait tout de jazz pour l’avoir vécu, Helen Forrest chanteuse sont devenus fantômes à leur tour et continue de nous entourer. Milt Jackson les a rejoints en octobre, en même temps que le trompettiste Art Farmer, histoire de faire des rapprochements de style, de trajectoire. Milt avait 76 ans et avait créé l’art du vibraphone, pas seulement bebop. Une autre façon d’inventer cet instrument de percussion, autre façon que celle de Lionel Hampton toujours vivant – si l’on peut dire – malgré ses 90 ans. Arthur avait lui 71 ans et avait créé au bugle une sonorité à nulle autre semblable, une sonorité qui tenait en l’air comme des bulles de savon, de ces notes qui vous atteignaient en plein dans le plexus… solaire forcément.
Le saxophoniste technicien de tous les saxophones avec un son passe partout et lisse d’une très grande lisibilité, Grover Washington Jr qui commençait à prouver qu’il aimait le jazz et pas seulement la musique d’ascenseur, nous a quitté brutalement en décembre alors qu’il était sur un plateau de télé, presqu’en même temps que Clifford Jarvis, batteurs de Sun Râ, de Chet Baker et d’Archie Shepp, maître des couleurs du temps, percussionniste avant tout capable de tous les rythmes, de tous les violentes douceurs. Charlie Byrd (74 ans), guitariste ayant introduit la Bossa Nova aux Etats-Unis avec Stan Getz, Don « Sugarcane » Harris (61 ans), violoniste qui avait collaboré aux folies de Frank Zappa, Charles Thomas, pianiste qu’on venait juste de découvrir en France n’ont pas voulu connaître les affres de l’an 2000 !
NB