Une exposition à la Cité de la Musique, un catalogue et un coffret de cinq CD, actualité de Django Reinhardt pour le 60e anniversaire de sa mort le 16 mai 1953. Il avait 43 ans.


 

A DJANGO REINHARDT, POUR L’ETERNITE

Django, un nom qui sonne comme une charge, comme un défi. Et il a dû en relever. Le premier, sa roulotte s’enflamme en 1928. Il perd l’usage de deux doigts de la main gauche alors qu’il déjà guitariste et banjoïste dans les orchestres musette. Il lui faudra réapprendre, ou plutôt apprendre à jouer de la guitare en abandonnant le banjo, sans se servir de ses doigts paralysés, l’auriculaire et l’annulaire. En naîtra une technique particulière qui ne doit rien à personne et tout à la rencontre des cultures, celle des Manouches, ces tsiganes du Nord – il est né en Belgique le 23 janvier 1910 -, et le jazz. Il racontera à Charles Delaunay, son mentor, son impresario, son producteur – le fils de Robert et Sonia avait créé le label Swing, le seul label consacré uniquement au jazz et la revue Jazz Hot -, cet éblouissement dû à l’écoute de Louis Armstrong, grâce à sa rencontre avec le peintre Emile Savitry. A son tour, il influencera touts les guitaristes et même l’inventeur du saxophone ténor, Coleman Hawkins, avec qui il enregistra.

Il constituera, avec le violoniste/pianiste Stéphane Grappelli – la fin est en i et non en y, pour qualifier les origines italiennes – le quintette du Hot Club de France, en référence à ces Hot Club qui viennent de se constituer partout en France regroupant les amateurs de jazz qui se recrutent dans les rangs du PCF comme de la droite sensible aux thèses de Jacques Maritain sur le déclin de la culture occidentale. Ce quintette sans « tambours ni trompettes » deviendra classique et sera copié dans le monde entier. Il cache d’autres rencontres, d’autres aventures. En 1936, le guitariste enregistrera avec Michel Warlop – violoniste oublié qui mourra en 1947 – un « Christmas swing » aux « sophistications barbares », écrira Patrick Williams à juste raison. La folie n’est pas loin.

Sa période de gloire sera celle dont personne ne voudra se souvenir pendant longtemps, sauf les « zazous » qui peupleront saint Germain des Prés, celle de l’Occupation. Il joue comme jamais. Il est le maître. Dans ce contexte, le jazz « français » pouvait naître. Un jazz qui s’éloigne de ses modèles et tend à l’originalité. Django donnera le la, constituant des grands orchestres, des petites formations, composant son thème-signature, « Nuages ». La chanson française s’en trouvera pour longtemps transformée.

Django avait déjà accompagné le chanteur de charme Jean Sablon, il accompagnera Charles Trenet et sera le professeur lointain d’un certain Henri Salvador qui se trouve, à ce moment là, en Amérique du Sud avec l’orchestre de Ray Ventura. Bientôt Yves Montand suivra leurs traces en rêvant d’une Amérique mythique.

Dans l’après guerre, après un voyage aux Etats-Unis décevant où il se produit aux côtés – et non pas avec, il le regrettera – de l’orchestre de Duke Ellington. Il intervient en soliste, remporte – contrairement à une légende – un grand succès mais revient amer de n’avoir pas été invité à la grande aventure du bebop. Il continuera les concerts, retrouvant pour un temps Stéphane Grappelli mais la magie n’est plus là. Il cherchera une nouvelle famille, adoptant la guitare électrique pour, une fois encore, partir en pleine mer, sans cartes avec un simple compas, pour découvrir l’Amérique. Ce sera chose faite en 1951 et surtout en 1953, engageant Martial Solal, pianiste venant de son Algérie natale, dont c’est la première trace enregistrée ou les frères Fol – pionniers du bebop en France. Ils lui tiendront la dragée haute et il retrouvera le plaisir de créer. Un nouveau « Nuages » exprimera cette direction originale, l’adoption de la révolution esthétique bebop. Ce sera surtout ce thème insolite « Deccaphonie » qui reste un grand mystère. Au retour d’une partie de pêche à la mouche – une de ses compositions – il nous quittera brutalement. Le monde se sentit orphelin.

Dans les hommages, les faces de 1951-1953 furent totalement occultées. Comme si Django ne les avait jamais enregistrées. Bizarre retournement. Il dérangeait à ne pas douter.

Il laisse une culture. Tous les guitaristes manouches apprennent la guitare avec Django, citent des thèmes qu’ils ne connaissent qu’à travers lui.

Le legs de Django – signifiant « Je réveille » – se conjugue au présent. Aucune commémoration dans la volonté de le fêter. Juste la nécessité de raviver son souvenir pour qu’il reste encore parmi nous, pour qu’il prenne la place qui lui revient dans le monde d’aujourd’hui.

Nicolas BENIES.

Exposition, « Django Reinhardt, Swing de Paris », Cité de la Musique, du 6 octobre 2012 au 20 janvier 2013, films et concerts dans le cadre de l’exposition, rens. 01 44 84 44 84, www.citédelamusique.fr Catalogue sous la direction de Vincent Bessières, commissaire de l’exposition, textes de Michael Dregni, éditions Textuel avec des documents inédits.