Ahmed Tiab dans « Vingt stations » (Éditions de l’Aube), mémoire de l’Algérie.

Algérie, la décennie noire

Oran peut-être de nos jours. Un homme monte dans un tramway. Il fera le tour de la ville en « Vingt stations », le titre de ce voyage à la fois dans la ville qui a beaucoup changée livrée aux promoteurs et dans sa mémoire tout en regardant les populations différentes de chaque station dévoilant des inégalités profondes découpant la ville. La mer devient fantomatique dans ce parcours d’un homme mort-vivant dans les affrontements de la « décennie noire ». Les assassinats se sont multipliés – s’en souvient-on encore ? – laissant toutes les populations algériennes en quête de lumière et de justice. Le gouvernement a préféré « faire comme si » il ne s’était rien passé s’abritant derrière une soi-disant « réconciliation nationale » pour rétablir l’ordre d’un pouvoir qui a perdu sa légitimité.

Ahmed Tiab, auteur de polar, mêle les réalités. Celle du présent et celle du passé proche de ces meurtres sans raison sinon la déraison d’une religion réduite à son inquisition. Boualem Sansal, en forme d’ironie amère, avait dit que les autres pays arabes avaient envoyé en Algérie les prédicateurs les plus imbéciles pour s’en débarrasser et les conséquences se sont révélées dramatiquement sanglantes pour les résistant.e.s à l’obscurantisme.
Ahmed Tiab, d’une écriture sèche, sans pathos décrit le monde absurde dans lequel l’homme a été projeté sans que la Justice poursuive ses bourreaux. Faut-il qu’il prenne la place de la police et des tribunaux ? La responsabilité collective évite-t-elle la responsabilité individuelle ?
Un « roman » ? Il faudrait plutôt dire un récit, mise à plat d’un pays qui, pour l’instant, reste enfermé dans une histoire qui n’est pas la sienne tellement elle se trouve revue, corrigée. Tiab a conçu un de ces livres étranges qui parle à la fois à notre intelligence et à nos émotions en même temps qu’un travail de mémoire. Il est impossible de descendre en route. La vingtième station sera aussi en forme de point d’interrogation. Conclusion provisoire d’une vie brisée.
Nicolas Béniès
« Vingt stations », Ahmed Tiab, Éditions de l’Aube.