Un trio qui se refuse à lui-même
Apparemment, le trio classique : piano –Michel Wintsch -, basse – Bänz Oester – et batterie – Gerry Hemingway – et un répertoire qui ne l’est pas moins, des compositions de Billy Strayhorn et « Duke » Ellington. Le trio « Who » – Qui ?, Un trio qui fête ses 20 ans – bouscule les règles bien établies de cette formation. La batterie prend la direction, le piano se met à la place de la batterie et la basse peut se faire batterie ou piano, les thèmes circulent pour prendre un aspect bizarre à nos oreilles. L’inquiétante familiarité s’immisce dans le cerveau enfiévré qui cherche des points de repères, en trouve, les perd, les cherche pour se lancer à l’assaut d’autres manières d’entendre, pour casser nos routines.
Une fois installé, le voyage permet de découvrir de nouveaux paysages mais aussi des références qui s’imposent. La rencontre de Duke et de Coltrane dans un essai avorté de définition du jazz – « The Feeling of Jazz » composé pour l’occasion par Duke. Empreintes aussi de la saga musical « Black, Brown and Beige » datant de la seconde guerre mondiale, comme les cris des esclaves déportés sur les négriers. Surgit « Le Matin des Noirs », la composition de Archie Shepp, comme en écho à l’univers ellingtonien dont une des fondations les plus solides est Billy Strayhorn. Les compositions réunies ici en un désordre savant racontent une grande partie de l’histoire de la Great Black Music même si elle est désossée par deux Suisses et un Américain exilé.
Que Trump semble loin !
Tenter l’aventure. Vous ne connaissez pas Duke Ellington, cet album, « Strell », peut servir d’intro, par le mélange même de la chronologie. En écoutant Duke et Billy, vous apprécierez le travail du trio et entrerez dans les arcanes du jazz pour ne plus en sortir. Si vous avez entendu et aimé la musique de ces deux créateurs, vous serez transportés en découvrant, grâce à ce trio, qu’ils ont encore beaucoup de choses à nous dire…
Nicolas Béniès
« Strell », WHO trio, Clean Feed Records, disponible en CD, en LP.
Renouer avec les explosions
SPIME est un collectif qui se construit sur un processus d’improvisation reposant sur l’énergie vitale qui conduit à la création pour faire sauter tous les bouchons, pour tisser les fils d’une musique qui veut conserver les objectifs de Sun Ra, d’Albert Ayler, de ce free jazz si décrié aujourd’hui – il faut croire qu’il fait encore peur -, de forger la musique universelle, du bonheur.
Le collectif n’a pas oublié la référence nécessaire des fanfares qui se retrouvaient, dynamitées, dans le grand orchestre de Anthony Braxton pour rappeler que le jazz des origines s’avançait sur un champ de mines, marche pour la vie de cette nouvelle musique guidée par la nécessité de construire des environnements adéquats, un monde original. Retrouver la naïveté des découvertes est fondamental pour créer d’autres géographies, dessiner des cartes qu’aucun cartographe n’aurait pu dessiner dans les royaumes de l’imaginaire.
« SPIME 2019 », un millésime qu’il faudra conserver, à intitulé son album : « Cosmic and spontaneous gestures », pour affirmer les influences et construire des filiations en même temps que leur sensibilité à l’environnement de l’année 2019. Aucune culture n’est oubliée dans le soulèvement qui secoue un monde voué à disparaître. Le collage fonctionne pour construire un puzzle pas tout à fait terminé et dont certains éléments resteront à l’extérieur faute de conformité.
Le collectif ne craint pas – comme le nom du label l’invite à l’envi, Le Fondeur Du Son, LFDS pour les intimes – à fondre le son pour transformer les bruits divers, qui viennent de la ville, pour en faire des cachets d’imagination, de création. Laissez les oripeaux des préjugés à la porte, entrez dans ce monde, nu, pour être porté par la vague de dynamique, de joie, de fraternité et de sororité.
Nicolas Béniès
« Cosmic and spontaneous gestures », SPIME 2019, LFDS Records, Anis Gras le lieu de l’autre.