Compléments au « souffle de la révolte », une saga de Ray Celestin

Deux livres pour commencer une saga.

Ray Celestin est linguiste et scénariste – je ne sais s’il y a un lien entre ces deux professions ou si c’est simplement un collage – et vit à Londres dit la notice, réduite, de présentation dans la réédition de poche, chez 10/18, de ses premiers romans « Carnaval » et « Mascarade ». Respectivement, le premier est consacré à la Nouvelle-Orléans après la Première Guerre Mondiale, exactement en 1919 et le deuxième, dans la suite logique pour qui a lu au moins une histoire du jazz, Chicago, en 1928.
Les titres originaux sont plus parlants pour un amateur de jazz : « Axeman’s Jazz » et « Dead Man’s Blues ». Il faut reconnaître que la traduction française littérale ne veut rien dire. Le traducteur, Jean Szlamowicz, a eu raison de chercher des titres en relation avec le sujet.
Pour en rester aux titres originaux et leur signification, il faut savoir que le fil conducteur de la saga qu’il a commencé à écrire est le jazz incarné par son génie tutélaire Louis Armstrong.

L’homme qui est l’axe du jazz ne peut être donc que Louis Daniel Armstrong. Pour une raison que je ne comprends pas, il se prénomme, dans le premier volume, Lewis. Erreur de traduction avec Louis ou une manière de dissimuler le héros véritable de ces enquêtes.
Le changement de prénom est réalisé dans le deuxième opus, « Mascarade » sans qu’il y ait – ou alors je l’ai ratée – une explication. Louis est bien son prénom et il est né à la Nouvelle-Orléans le 4 août 1901. Les informations de l’auteur sont tirées de ce que tout le jazz connaît de la vie du futur Satchmo.
« Dead Man’s Blues », le blues de l’homme mort, est une composition de Jelly Roll Morton – Ferdinand La Motte pour l’état civil -, Créole – et Ray Celestin insiste, à juste raison, sur la dégradation de leur statut dû au départ des colons français. Jelly Roll, qui a travaillé dans les bordels de la Nouvelle-Orléans sis à Storyville mais dans le Storyville noir, ce que ne dit pas l’auteur. Rappelons que Jelly Roll est le premier vrai compositeur de jazz. Comme James Europe.

« Dead Man Blues » pour le titre original, Jelly Roll Morton’s Red Hot Peppers, soit des piments rouges forts. 21 septembre 1926 à Chicago

« Carnaval » nous fait visiter cette Nouvelle-Orléans partagée entre quartiers où le racisme reste triomphant. La ville, elle, tangue, danse aux sons du jazz – le terme commence à s’imposer dans les années d’après guerre après la parution du premier disque de jazz par l’Original Dixieland Jazz Band, quintet blanc qui vient directement de la Little Italy de « Big Easy », un autre nom de la Nouvelle-Orléans.
Présentation des deux enquêteurs qui doivent résoudre des affaires compliquées. L’un est inspecteur de Police gangrénée par les liens avec la mafia provenant de la pauvreté et du poids de la pègre dans la vie même de ces quartiers. L’autre est une jeune femme noire pouvant passer pour Blanche, Ida, qui travaille comme dactylo – comme c’est bizarre – pour l’agence Pinkerton (voir « Polices américaines » de Didier Combeau). Elle mène l’enquête aux côtés de Lewis Armstrong parallèlement à celle de Michael Talbot, inspecteur mal vu de ses collègues parce qu’il a épousé une infirmière noire et qu’il a « donné » son supérieur, Luca d’Andréa sous la coupe de la mafia.
L’histoire est vraie : une série de meurtres à la hache par « Le tueur à la hache » pour citer la presse de l’époque résultat du racisme de cette société et du déclassement des Créoles.
Des histoires d’amour flottent sur les brumes du port balayées par des cyclones – et c’est le cas en cette année 1919 – tout autant que des amitiés étranges, des remords comme autant d’usines sur le port et des regrets.Tous les trafics sont aussi présents notamment les jeunes enfants.
Ray Celestin a fait un travail de documentariste. Une plongée dans ce monde d’avant où l’esclavage est très présent physiquement. Dans le même mouvement, les premiers temps de l’entrée en génie de Louis Armstrong font aussi partie de cette histoire. Presque une bio du génie.
Louis/Lewis ne joue pas encore chez Oliver mais chez « Fate » Marable en compagnie de « Pops » Foster, contrebassiste, Johnny et « Baby » respectivement clarinettiste et batteur, des représentants intégraux du jazz de la Nouvelle-Orléans. De cette période, pour Louis, on ne peut qu’imaginer et c’est ce que fait Ray Celestin.

Pour le passage de « Carnaval » à « Mascarade », deux thèmes signés par « King » Oliver

« Canal Street Blues », le 5 avril 1923, du King Oliver’s Creole Jazz Band : King Oliver, Louis Armstrong (cornet), Honore Dutrey (tb), Johnny Dodds (cl), Lil Hardin (p), Bill Johnson (bj), Baby Dodds (dr)

« Dippermouth Blues (première version), 6 avril 1923, avec les mêmes.

« Mascarade » fait l’impasse sur les années 1919 – 1926 sauf pour Louis qui se souvient et fait les liens nécessaires dans sa vie et ses expériences. En 1924, après avoir épousé Li’ Hardin, il se trouve à New York où il n’arrive pas à percer même s’il fait partie du Big Band de Fletcher Henderson. Il ne s’est pas débarrassé de sa timidité et de son manque de confiance en lui.
On retrouve Ida et Michael faisant partie de l’agence Pinkerton à Chicago où règne Al Capone concurrencé par les trafiquants de drogue de New York, alliance de la pègre Italienne et juive. La description de Chicago de ce temps est à lire pour comprendre cette mafia mais aussi la place de la ville aux Etats-Unis. Là encore, plus peut-être qu’à la Nouvelle-Orléans, le racisme domine. Les Noirs ne peuvent habités que dans l’un des deux ghettos. Les riches Blancs sont en dehors de ce monde. la plupart de ces familles ne craignent pas les mésalliances avec la pègre. Capitalisme oblige. Meurtres, chantages ne sont pas que l’apanage de la mafia.
Louis est très présent et commence à être reconnu. Comme on le sait depuis le livre de Morris « Le jazz et les gangsters », Capone aime le jazz mais ne paie pas convenablement les musiciens pour autant.
« Mascarade » est construit presque comme « West End Blues », le chef d’œuvre de Louis, juin 1928. Ray Celestin l’explique dans une postface. Un mordu.

« West End Blues » enregistré à Chicago avec le Hot Five pour OkEH

Toujours tourmenté, mais poussé par Lil, Louis va partir pour New York, la Ville qui ne dort jamais, pour la troisième partie de cette saga.
A lire.

Nicolas. (à suivre)