Un essai de Laurent Cugny

Qui est Hughes Panassié ?

Hugues Panassié, un des premiers critiques et discographe du jazz a suscité émois, idolâtrie et rejets. Il a souvent été présenté – je l’ai fait dans « Le souffle de la liberté » – comme « collaborateur » pendant la deuxième guerre mondiale. Le « Pape de Montauban » comme l’appelait à la fois ses thuriféraires et ses détracteurs, a beaucoup écrit et dans beaucoup de publications y compris pendant cette période tout en restant enfermé dans Montauban.
Comment rendre compte de « l’œuvre panassiéenne et sa réception » ? Laurent Cugny s’est donné cet objectif dans cet essai biographique limité à la période qu’il analyse dans le tome 1 de son « Histoire générale du jazz en France » (Outre Mesure, 2014), autrement les années 1920-1930 avec quelques incursions dans d’autres œuvres de Panassié en forme d’autobiographie.
« Hugues Panassié » – titre aussi de cet ouvrage – publie « Le Jazz Hot » en 1934. Il a alors 22 ans et c’est sa première incursion dans l’édition. En 1936, il sera traduit aux Etats-Unis. Rentier, il a l’argent pour acheter les disques et le temps de les écouter. Il fait aussi un travail de recherches discographiques en demandant à chaque jazzman qui vient en France les noms des musicien-ne-s présent-e-s dans le studio pour tel ou tel enregistrement. Un peu plus tard, pour « Swing – le label qu’il fonde avec Charles Delaunay – il organisera une séance d’enregistrement avec le poète Pierre Reverdy, une rencontre réussie avec le jazz.
Il inaugure une nouvelle lecture du jazz en parlant de la performance et non pas seulement de l’écrit, comme la plupart des autres critiques de ce temps, plus exactement de celui des années 1920. Les années 1930 sont à la fois des années de mort d’un jazz, celui entendu dans ces années 1920 et l’orée d’une re-naissance, une sorte d’entre deux. La critique s’essouffle et Panassié prend une place laissée vacante aux États-Unis comme en France. « Le Jazz Hot » – qu’il ne faut pas confondre avec la revue qui naîtra véritablement en 1937 qui portera ce même nom -, souligne Laurent Cugny, fait la part belle aux musiciens Blancs de Chicago et même au grand orchestre de Paul Whiteman. Seul, le chef d’orchestre britannique Jack Hylton fait l’objet de ses sarcasmes. Il faut dire qu’en 1931, ce Big Band se produira à l’Opéra…
Hugues n’a pas encore subi l’influence du clarinettiste blanc pourtant, Milton Mezz Mezzrow – auteur avec Bernie Wolfe de « Really the blues », « La rage de vivre » pour la traduction française, un récit un peu trop éloigné de la réalité mais se lit comme… un roman – qui se veut plus Noir que Noir et voue aux enfers tout musicien blanc qui ne joue pas le passé, soit ce jazz qui sera nommé New Orleans. En bon catholique, Hugues fera autocritique dans les écrits ultérieurs.
Cugny dresse le portrait d’un enfant gâté, sans doute à cause de la polio qui le frappe enfant et lui laissera une jambe quasi paralysée, issu d’un milieu catholique traditionnel. Par quel miracle, est-il tombé tout entier sous la coupe du jazz, pour en devenir un passionné intégriste comme il le devait à son éducation ? Un paradoxe terrible qui fait de lui une sorte de paria. Devenir gourou était une porte de sortie pour dépasser ses contradictions. Par définition, ses avis seront définitifs…sauf si lui-même les remet en cause. Il se posera en expert infaillible sur le jazz. Il aura donc des disciples. Contester la parole du Maître, c’est être irrémédiablement rejeté, voué aux gémonies. Pour lui et ses suiveurs, le jazz s’arrêtera à Charlie Parker, au be-bop, manière de faire régresser la connaissance de cette musique et la connaissance tout court. Cugny ne traite pas de la période de l’après seconde guerre mondiale pour le Hot Club de France, créé dans ces années 1930 par Hugues qui en sera le Président et Charles Delaunay le secrétaire, qui verra les excommunications prononcées par le « Pape » Panassié. Boris Vian n’aura pas de mots assez pour « Panne à scier » comme il le surnommera.
Laurent Cugny refuse de juger de l’œuvre de Panassié en fonction de la fin. Il permet, du coup, d’apprécier la place de Panassié dans le contexte de l’époque sans oublier son âge. Une place, dit l’auteur, ni aussi grande que quelques-uns l’ont dit, ni aussi folle que d’autres l’ont prétendu. La paranoïa du personnage, elle, ne fait aucun doute.
Laurent Cugny évite la conclusion abrupte sur le personnage et sur le critique de jazz. On le sent partagé. Un indice est donné par quelques répétitions non maîtrisées qui reflète sa difficulté de tracer un portrait complet d’un homme qui a du mal à se situer dans ses contradictions et n’a pas forcément d’idéologie toute faite concernant cette musique dont il est tombé amoureux.
Il faut redire que ces années 1930 sont des années de crise profonde où les transformations touchent tous les domaines. La crise a des effets positifs pour le jazz. Elle obligent, pour faire du profit et lutter contre la faillite, les grandes compagnies discographiques à exporter les « race series » ciblées, comme leur nom l’indique, sur la clientèle des ghettos noirs. Cette connaissance se traduit par la reconnaissance des musiciens Africains-Américains, à commencer par Louis Armstrong – qui arrive en Europe en 1932.
Hugues Panassié est une figure des années 1930 en France. Sa biographie était nécessaire pour poursuivre cette histoire du jazz en France.
Nicolas Béniès.
« Hugues Panassié », Laurent Cugny, Éditions Outre Mesure.