Le polar est un genre en train de tellement se diversifier que, bientôt, il faudra abandonner cete classification. De plus il s’introduit dans toutes les sphères de la littérature à croire qu’il est le seul à être encore un peu soit peut vivant.
Pour cette sélection, trois types de polar donc. Historique et sociologique – un peu artistique – pour faire revivre ce Paris étrange, celui de l’Occupation, littéraire avec Benjamin Black qui recrée la figure de Philip Marlowe en s’inspirant de Chandler pour continuer son œuvre prenant une dimension abstraite faute de définir la chronologie mais ce flou procure de nouvelles sensations et, enfin, pénétrer dans notre monde moderne de plus en plus barbare avec un nouveau personnage, un enquêteur de 27 ans, « Zack » – titre aussi de ce roman écrit à 4 mains dans la Série Noire – capable d’incarner les vices qui rongent nos sociétés comme la suédoise.
Une confrontation étrange. Les méthodes d’investigation sont très différentes. Malgré le contexte de l’Occupation, l’enquête est classique, la barbarie est extérieure pour « Occupe-toi d’Arletty », cependant que Black investit la barbarie intérieure – une nouvelle contrée – et Kallentoft/Lutteman la déstructuration de la société suédoise, une société comme la plupart des autres totalement corrompue.
Peut-être dans ce partage de la barbarie trouve-t-on la cause principale de la victoire du polar. Ce genre s’est fait connaître par l’utilisation de la violence, la description de la société « réelle » pour créer des personnages un pied – quelque fois plus – hors de ce monde. Il faut de la distance pour être un détective privé à la sauce Hammett ou Chandler, avec un code de vie qui ne permet pas de céder aux corrupteurs, une distance nécessaire pour décrire toutes les barbaries.
Polar historique.
Comment retracer le Paris de l’Occupation ? Années de rationnement, de ratonnades et de déportation massive des Juifs et des tsiganes ? Période aussi marquée par le succès de Django Reinhardt qui a échappé des griffes du nazisme grâce à la fraternité du jazz comme celui du violoniste Michel Warlop. Moment aussi où la pègre se divise entre les collaborateurs qui forment la Milice avec, à sa tête, Henri Lafont et les autres devenus Résistants.
La vie de tous les jours échappent de temps en temps à la lourdeur de l’Occupation. Il faut bien continuer de travailler.
Jean-Pierre de Lucovich a choisi de mettre en scène un détective privé dans cette fin d’année 1941, Jérôme Dracéna ex policier et fils de flic, qui enquête sur des menaces de mort adressées à Arletty. Une porte d’entrée à la fois étrange et juste pour parler de cette époque étrange où les relations humaines apparaissent à l’envers ou enveloppées dans une ombre tellement immense qu’elle cache toute la lumière.
Arletty est amoureuse d’un officier allemand, Karl von Sperlich au passé sulfureux qu’elle ne connaît pas. C’est du moins l’hypothèse de l’auteur. On ne fréquente pas les milieux du cinéma plutôt ceux des lieux de plaisir de l’immédiat avant guerre.
« Occupe-toi d’Arletty », demande le père du jeune détective, permet de fréquenter le cabaret à la mode de ces années là, le « One Two Two » où chante Suzy Solidor – que peindra Lampicka -, pour entendre aussi Léo Marjane et découvrir les débuts de la future Martine Carole pour faire oublier ses liaisons dangereuses qui aurait pu lui faire perdre sa chevelure.
De Lucovich brosse ce monde interlope, barbare et cupide sans alourdir l’enquête de développements moralisateurs. Mais on a quand même l’impression que son détective privé à un peu trop tendance à s’accommoder de l’air du temps.
Nicolas Béniès.
« Occupe-toi d’Arletty », Jean-Pierre de Lucovich, 10/18, collection Grands Détectives.
Polar de…polar.
Benjamin Black, pseudonyme de John Banville, a décidé de faire revivre Philip Marlowe, la figure de référence du détective privé créé par Raymond Chandler. « La blonde aux yeux noirs » prend la suite du dernier opus écrit par Chandler, « The long good-bye » – disponible dans la collection Folio Policier. Une histoire d’amitié trahie. Terry Lennox se sert de l’amitié que lui porte Marlowe pour l’utiliser. Un climat de fin de règne, avec une odeur persistante de la mort. Un de ces livres qui dépasse toutes les catégories. Un grand roman.
Pour dire que Black s’attaquait à un monument. Il relève le gant. Il rend vivant un Marlowe à l’inquiétante familiarité. C’est lui et ce n’est pas lui. Une drôle d’alchimie. Black a tout lu. Il connaît les recoins de Chandler. Il sait que c’est le style qui compte et pas l’intrigue. Il sait que les femmes étranges jouent un grand rôle dans toutes ces histoires. Il sait aussi qu’il ne faut pas tout dire, qu’il faut laisser la place à l’imagination du lecteur.
Une réussite qui laisse rêveur. L’auteur est absent et présent. Il se laisse deviner parfois et, à d’autres moments, reprend la plume des mains du mort. Une oscillation du style et par-là même des personnages est perceptible. Sans qu’elle donne le mal de mer.
Nicolas Béniès.
« La blonde aux yeux noirs. Le retour de Philip Marlowe », Benjamin Black, traduit par Michèle Albaret-Maatsch, 10/18
La Suède d’aujourd’hui.
Il est tendance de considérer les pays d’Europe du Nord, dont la Suède, comme des paradis sans voir les déstructurations, les éclatements sociaux sous les coups de butoir d’un libéralisme économique certes atténué mais qui a les mêmes conséquences. La montée de la barbarie, les rancœurs, le rejet de l’autre sont aussi présents.
Mons Kallentoft & Markus Lutteman se sont associés pour créer un personnage étrange et inquiétant Zack Herry membre d’une unité spéciale de la police. Un junky lui-même, obsédé par le meurtre de sa mère – James Ellroy semble avoir servi de modèle à cet enquêteur de 27 ans – a décidé d’épurer la société suédoise de ses barbares. Il a du boulot sur la planche ! La haine de cette société est le moteur de tous les meurtres commis, une haine mal dirigée mais qui exprime le contexte d’une société qui explose et implose. Les coupables sont dans l’ombre. Le virtuel prend la place du réel tout en faisant partie de ce réel mais un réel invisible. Contre qui faut-il tourner sa colère ? « Zack – le titre de ce premier opus – apporte une réponse contraire au politiquement correct. C’est sa force, sa faiblesse un style un tout petit peu trop relâché.
Nicolas Béniès.
« Zack », Mons Kallentoft & Markus Lutteman, traduit par Frédéric Fourreau, Série Noire/Gallimard.