En direct des États-Unis.
Violences du Sud…
James Lee Burke, on ne le dira jamais assez, est l’écrivain le plus important du Sud des États-Unis. Malgré son âge avancé – son expérience de la guerre en est restée au Viêt-Nam, depuis les États-Unis se sont engagés dans des multitudes de guerre -, il sait toujours raconter des histoires tristes et curieuses comme celles des Blues qui marquent profondément cet environnement. Comme le « Old man River », le Mississippi qui structure tous ces territoires
Pour cette nouvelle aventure Dave Robicheaux, son double qu’il n’arrive pas à faire mourir, policier de cette Louisiane remplie de fantômes et de racismes comme d’assassins en série qui ont pourtant pignon sur le Mississippi.
« Lumière du monde » – une belle bien définition de la nature encore sauvage – se déroule au Montana où la famille de Dave est en vacances en compagnie de Clete Purcell et de sa fille Gretchen. Une sorte de passage de témoins déjà perceptible dans le précédent, « Créole Belle » vers les filles, écrivaine pour Alafair – le prénom de la fille de Dave et de James Lee – et cinéaste pour Gretchen. La réalité et la fiction se mêle. Burke donne l’impression qu’il est au bout d’un cycle, que le renouvellement sera le fait de la génération suivante.
Comme à l’habitude, une histoire compliquée de familles avec ce qu’il faut de meurtres pour l’héritier d’une grande famille, de cruautés et de vengeances. Sans oublier le pédophile, le flic pourri jusque la moelle et les insuffisances de la police qui se laisse berner par la puissance de l’argent. « Les hommes grands ne nous apparaissent grands que parce que nous vivons à genoux » pourrait être un des résumés de ce roman plein de bruits et de fureur pour retrouver finalement le contact avec la nature luxuriante au calme trompeur. James Lee Burke tombe dans quelques pièges dus à son long compagnonnage avec Dave mais il sait mettre en scène la barbarie d’un monde en train de sombrer. Il individualise les appétits d’un capitalisme qui ne sait que suivre sa pente en la descendant en détruisant tout ce qui reste d’humanité. Rien ne semble l’arrêter sinon ses propres contradictions et turpitudes ainsi que la révolte de populations n’acceptant plus cette domination.
… Comme de New York
Walter Mosley est tout autant sensible à ce monde pourrissant. Son nouveau double, Leonid McGill, détective privé, a, comme Easy Rawlins, un passé douteux et un énorme sentiment de culpabilité. Il suit, sans le vouloir ou le savoir, les traces de son père, communiste et syndicaliste qui a disparu dans les limbes lorsqu’il était ado. Sa mère, croit-il, en est morte. Il est aussi boxeur et ami avec un propriétaire de d’une salle d’entraînement en train de mourir du cancer. Un vrai petit samaritain voulant réparer le mal qu’il a causé…
Il suit un autre chemin que Burke, fasciné par les histoires et l’Histoire des grandes villes américaines. Easy Rawlins lui a permis de raconter l’histoire du ghetto de Los Angeles, Watts, de la fin de la seconde guerre mondiale aulx années 60, Leonid lui permet de raconter New York au présent.
« En bout de course » est la troisième rencontre avec ce moraliste qui se veut détective privé. Mosley sait décrire le nouvel environnement – New York reste un personnage à part entière – tout en faisant la part belle aux affaires domestiques sans oublier l’enquête. En fait deux enquêtes qu’il doit mener de front. La première est un hommage à Chandler, le père des polars. Des citations des ouvrages de Raymond se retrouve au fil des pages, comme « les ennuis c’est mon affaire » et quelques autres. Une manière d’affirmer sa filiation même si l’environnement de Chandler était plutôt… Los Angeles.
Une femme, qui n’est pas celle qu’elle dit être, charge McGill de la protéger. Elle offre une somme colossale qu’il est obligé d’accepter… Une embrouille forcément. La deuxième enquête lui est imposée par un ami de son père, un truand important qu’il appelle l’oncle. Ce sera une autre recherche, invraisemblable au demeurant, que l’auteur nous force à suivre avec affection. Une histoire de ressemblance avec une personne ayant existé…dans les rêves du détective. Leonid, comme Easy a aussi des amis tueurs professionnels. Ils lui permettent de rester en vie pour de nouvelles aventures.
Walter Mosley fait passer les insuffisances de l’intrigue par le style, bien rendu en français. La barbarie se fait douce mais elle est, néanmoins, très présente. Comme chez Burke, la musique – blues, jazz, country, rap… – est omniprésente et rythme le mouvement même de la vie. .
Retour en France : L’Âge du jazz.
Claude Izner change d’Âge sans changer d’espace. Paris, 1921. La France se remet difficilement et de la guerre et de la grippe espagnole. Le jazz, cette musique venue d’ailleurs, sert de carte de visite à la nouvelle génération. Les musiciens de jazz arrivés dans les bagages de l’armée américaine sont restés à Paris. Les cabarets s’orientent vers ces nouveaux rythmes. La danse qui triomphe, le fox trot, « Le pas du renard », le titre de cette saga.
Le fox trot, au fil du temps, se transformera tout en restant la danse essentielle de ce monde interlope.
Le personnage central, le pianiste Jimmy Nelson, est à la recherche du secret de sa naissance. On se dit que Victor Legris n’est pas très loin. Les indices sont nombreux. Les lecteurs de la série précédentes les reconnaîtront. Les autres se trouveront, à un moment ou à un autre, obligés d’y aller voir. Comme d’habitude, les deux sœurs qui utilisent un pseudonyme unique, renseignent sur la vie, les livres, les lieux de ce Paris à la fois proche et éloigné. Il permet d’apercevoir les transformations de notre environnement.
Une intrigue spécifique double celle de la série, pour donner du sel à cette recherche de paternité. Un thème dans l’air de notre temps qui fait se rejoindre Nelson et McGill.
Le Mi-Ka-Do sera quasiment l’unité de lieu. Ce cabaret accueille Jimmy et une ribambelle d’animateurs, musicien(ne)s, chanteuses et autres éleveurs de chiens, qui essaient de faire vivre, en survivant, la scène. Sous l’influence de Jimmy, les spectacles changeront. Les airs de Irving Berlin, « Alexander’s ragtime Band » notamment, sorte de bande son de ce livre, remplaceront ceux de l’avant guerre. Le jazz vient féconder la chanson française.
Cette petite troupe connaîtra des morts en grand nombre. Elle se trouve décimée. Pourquoi ? Quel rapport avec la disparition du financeur des spectacles du cabaret, fou de cinéma – l’autre anti-art en train de prendre de l’importance ? Pourquoi Jimmy est-il menacé ?
D’un seul coup vous êtes transporté dans ce Paris des années 20 et Jimmy Nelson vous devient proche. On a envie de le retrouver… Un seul reproche : la bande son n’est pas complète.
Nicolas Béniès.
« Lumière du monde », James Lee Burke, traduit par Christophe Mercier, Rivages/Thriller ; « En bout de course », Walter Mosley, traduit par Oristelle Bonis, Babel/Actes Sud ; « Le pas du renard », Claude Izner, 10/18.