L’infortune d’être soi.
Louis-René Des Forêts (1916 – 2000) est un auteur étrange inséré dans ce 20e siècle dont ce nobliau fut le plus violent critique tout en participant à toutes ses guerres et à tous ses espoirs. Né dans la Première guerre, il fut un des protagonistes de la seconde, s’opposa à la guerre d’Algérie (signataire du Manifeste des 121) et vivait l’écriture comme une malédiction. Il s’est servi de toutes ces expériences pour construire une œuvre aux entrées multiples où la naïveté barbare des enfants est mise en scène. Une formule ternaire, qu’il faut entendre comme une harmonique, pourrait résumer l’appel de cet auteur qui n’entre dans aucune case toute faite : « L’éclat du rire, le sel des larmes et la toute puissance sauvagerie » (cité par Dominique Rabaté dans sa présentation). Les « Œuvres complètes » ici réunis font la démonstration d’une maîtrise de l’écriture qui va crescendo. Les termes de musique viennent sous la plume tellement la structure de ses textes – faut-il parler de roman et même de nouveau roman sans induire des erreurs d’interprétation ? – ressemble à une partition. Il aimait l’opéra et son esbroufe, sa manière de parler de la réalité sous un simulacre de chants et de décors pour singer le factice. Louis-René prendra, dans un premier temps, le masque d’un critique musical, signant de son nom retourné.
L’influence revendiquée, pour ses premières œuvres qualifiées par lui de romans, avec ce qu’il faut de rebondissements, « Les Mendiants » – publié en 1942 et il s’en explique -, « Le Bavard », se trouve du côté de la littérature américaine, Faulkner en particulier. Une manière de se sortir des ornières de la littérature du monde d’avant. Un vent vivifiant. Rimbaud, un de ses premiers chocs esthétiques, restera un inspirateur. Il faut relire « Le Bateau ivre » pour comprendre la force de cette poésie mise en valeur par les surréalistes, Breton en particulier. Pour toute cette génération, à commencer par Samuel Beckett, s’est construite sur les œuvres de James Joyce – Louis-René fut son voisin pendant un temps – « Ulysse » et, surtout pour notre auteur, « Finnegans Wake ». Pourtant une influence n’est pas revendiquée, celle de Raymond Roussel à qui il fait penser par cette entrée dans le monde par le langage.
Un passage par des Nouvelles et des Récits enracinés dans les expériences vécues, une curieuse poésie, « Les Mégères de la mer », pour arriver à « Ostinato » – « maintien d’une formule rythmique pendant tout ou partie d’une œuvre » – qualifié d’autobiographie. Il ne faut pas s’attendre à une chronologie d’une vie dans le siècle. Plutôt des souvenirs en forme de flashs sans continuité apparente pour répondre à la définition de Blanchot, « Le souvenir suppose une part d’oubli ». Le bonheur d’écrire est sensible habitant une mélancolie profonde sans pardon. Le malheur d’être provient de la mort de sa fille, vide jamais comblée.
La modernité de Louis-René Des Forêts provient peut-être de sa critique de la « communication ». Trop parler, disait-il, inclus le mensonge. Il faut lutter contre l’inflation verbale. La vérité des mots est difficile à atteindre. La précision du texte est le prix à payer. Comme chez Breton, chez lui nulle volonté d’abolir la ponctuation mais de faire dire aux mots leur émotion, comme la musique arrive à le faire leur donnant, à ces mots de tous les jours, une profondeur inespérée.
Nicolas Béniès.
« Œuvres complètes », Louis-René Des Forêts, présenté par Dominique Rabaté, « Vie et Œuvres illustré », « Critiques et Portraits littéraires » complètent ce Quarto/Gallimard, 1344 p.