Musiques et mémoires.
Ce festival a une volonté : faire découvrir tout à la fois, des lieux – ici « Congo square », une place de la Nouvelle Orléans -, des musiques pour faire œuvre de mémoire. Ce travail de mémoire est fondamental. Il faut savoir retrouver le passé pour construire un avenir. Si les musiques veulent se régénérer, elles se doivent de déterminer leur parcours.
Le jazz particulièrement est une musique de la mémoire. De celle des esclaves comme de la lutte pour la dignité, celle des droits civiques pour s’intégrer dans cette société américaine qui refuse toujours de considérer son passé malgré un Président noir, la reconnaissance au milieu des années 1980 de « l’anglais noir » et du jazz comme une musique américaine.
Ce festival touchera à la fois les villes de Seine Saint-Denis et Paris pour évoquer la place Congo, sise dans le French Quarter, le quartier français périmètre de cette ville portuaire au 18e siècle. « Crescent City », la cité du croissance ainsi nommée à cause de sa forme sur la carte, se trouve au carrefour de toutes les influences. La Louisiane sera successivement française, espagnole, française et sera vendue aux Américains par Napoléon aux débuts du 19e siècle. Toutes ces teintes se retrouveront dans les musiques spécifiques de cette Ville, un des berceaux du jazz, musique sans nom et sans définition.
Congo Square s’appellera successivement Place publique ou place des Nègres pour signifier qu’il s’agit du marché aux esclaves. Les Négriers qui débarquent leur cargaison viennent vendre leur rapt d’Africains, surtout de l’Ouest, en séparant les familles et les nationalités pour éviter les révoltes. Archie Shepp, dans « Le matin des Noirs », fera entendre les souffrances de ces populations exilées de force et enfermés dans les cales.
Les planteurs français, comme le raconte Barbara Hambly dans les enquêtes de son « grand détective » Benjamin Janvier ont deux familles qui cohabitent dans des maisons à deux étages séparés par un escalier qui permet de les rejoindre. La famille officielle, blanche, est en haut et la famille officieuse, noire, est en bas. Certains planteurs donneront une éducation scolaire à leurs enfant plus ou moins légitimes. Certains deviendront médecins comme Janvier et joueur de piano classique alors que sa sœur – ce sont les personnages de Hambly mais ils sont révélateurs – est prêtresse Vaudou et danse au son des tambours à Congo Square. La danse est permise pour ces esclaves, sans débordements. Certains, certaines ont été émancipés sans avoir pour autant de liberté, sauf celle de danser…
Place publique se trouve juste à l’extérieur des murs de la Nouvelle Orléans dans ce 17e siècle.
Le quartier prendra, plus tard, le nom de Trémé. Un quartier toujours actif aujourd’hui. Frémeaux et associés a publié deux albums à la gloire de ces groupes et fanfares qui font le bonheur des habitant(e)s et des visiteurs.
La révolution haïtienne – Haïti s’appelle Saint-Domingue en ces temps là -, sous la conduite de Toussaint-Louverture, sur la lancée de la Révolution française qui a aboli l’esclavage, pousse les grands propriétaires fonciers à quitter l’île avec leurs esclaves pour rejoindre la Nouvelle Orléans. Napoléon reviendra sur les promesses de la révolution et fera enfermer Toussaint-Louverture qui reste une des grandes figures de libérateur des peuples opprimés.
Le résultat de tous ces brassages de population, c’est la naissance du Créole, enfant de ces familles officieuses, une partie de la population, comme le racontera plus tard Sidney Bechet, munie d’un minimum d’instruction. A la Nouvelle Orléans, comme souvent dans les villes américaines, la stratification sociale dépend de la couleur de la peau. Les Blancs en haut de l’échelle, les Noirs en bas – ce sera le cas de Louis Armstrong – dans des familles souvent décomposées où le père est parti et, entre deux, les Créoles. Ces derniers perdront leur statut lorsque les « Yankees » décideront de considérer comme Noir tous ceux et toutes celles qui ont une goutte de « sang noir ». Une couleur bizarre pour le sang. Rouge pour tout le monde, à l’évidence. Ce rouge que l’on verra souvent dans les lynchages orchestrés par le KKK, le Ku-Klux-Klan.
Le compositeur français, Louis-Moreau Gottschalk, en visite à la Nouvelle Orléans, sera choqué par les danses et la musique qui sera, pour lui, avant beaucoup d’autres, une source d’inspiration. Il sera l’un des premiers à mêler les rythmes syncopés à la musique européenne.
La guerre de Sécession (1861-1865) marquera un temps d’arrêt de ces manifestations place Congo. L’abolition de l’esclavage changera la donne. La musique sera celle des fanfares qui défileront dans cette ville. La musique habite Congo Square. En 1920, la municipalité construira un auditorium…
Congo Square fait la preuve que le jazz n’est pas né dans les bordels mais dans la rue. Que cette musique est une musique de la souffrance, de la révolte et de la danse. Elle mêle rire et larme, le savant et le populaire.
Le festival s’ouvrira le 10 octobre avec une croisière musicale sur le canal de l’Ourcq avec brass bands au départ et à l’arrivée…
Le gospel sera aussi présent, comme le blues et les autres musiques de cette Nouvelle Orléans qui en compte énormément passant par la soul music, la musique cajun – de ces Français qui ont voulu conserver leurs traditions – et le « Zydeco », le rhythm and Blues et beaucoup d’autres dont celle du Dr John.
L’invité principal, le « Dirty Dozen Brass Band », un groupe qui se produit depuis plus de 15 ans et qui sait tout de ces musiques de jazz, capables de jouer Thelonious Monk ou les beboppers dans un style qui tien des fanfares. Pour la petite histoire, les « dirty dozen » étaient organisées dans tous les ghettos des villes américaines. Ces douzaines consistaient à s’envoyer toutes les insultes de la terre sans perdre son sang froid. Le premier qui frappait avait perdu. Autant dire que Zidane aurait perdu ou n’importe quel footballeur qui se laisse entraîner à la castagne sous prétexte qu’il a été insulté…
L’évocation de Congo Square ira de pair avec un autre thème, « Family Music », la musique en héritage. Comment se construisent ces « dynasties » ? La Famille Savoy de Louisiane retrouvera leur fille, Sarah, résidente à Bagnolet. La famille Diabaté, Lacaille – René est un accordéoniste qui fait vivre une musique de La réunion – lui succédera comme l’ensemble arabo-andalou El Mawsili et une création autour des frères Camara de Guinée.
Pour finir dans une apothéose avec « le grand bal des familles ».
Dans ces quatre semaines on aura pu aussi apprendre des recettes de cuisine, assister à des spectacles pour les enfants, à assister à des conférences pour les collégien(ne)s et lycéen(ne)s pour vivre au son de ces musiques qui se veulent les nôtres. Il ne vous reste qu’à choisir d’autant que les tarifs vont de gratuit à 15 euros. Aucune raison de se priver…
Nicolas Béniès.
« Festival villes des musiques du monde », du 10 octobre au 9 novembre, renseignements
01 48 36 34 02 www.villedesmusiquesdumonde.com