Une sélection de nouveautés en jazz

Jazz d’aujourd’hui et de demain.

Le jazz, comme toutes les autres disciplines artistiques, est éclaté, pluriel. Il cherche des solutions ailleurs que dans lui-même. Longtemps, jusqu’aux années 1980 s’il fallait dater, il a su s’outrepasser lui-même. Trouver en son sein des réponses aux questions que toute l’esthétique se posait. Des réponses en forme de révolution esthétique brutales et rapides. Une sorte d’accélération de chefs d’œuvre qui laisse pantois.
Aujourd’hui, le présent se remplit des rumeurs du passé, de cette mémoire vautrée dans un entre deux et qui se refuse à tout travail pour laisser la place à un passé recomposé pour que chacun(e) essaie de trouver sa voi(x)e. Pas facile pour les musicien(ne)s de ce temps de trouver leur tempo, leur possibilité.

Le jazz regarde aussi vers les autres musiques, les autres culture se laissant souvent colonisées par elles.
Cette introduction pour présenter trois albums révélateurs de ces tendances.
Un guitariste australien qui vit à Paris, Alex Stuart, veut, à son tour mélanger toutes les musiques, toutes les cultures dont il se sent l’héritier. « Place To Be » – le titre de son troisième album – montre ce qu’il doit à un trio français, pionnier des collages musicaux notamment avec l’Afrique un peu rêvée, Humair/Jeanneau/Texier pour cet album « Akagera » datant de 1980. Le saxophone de Stéphane Guillaume y est pour beaucoup. Pour le reste, le quartet fonctionne. Irving Acao, saxophone ténor qui arrive à décoller dans « Pour vous » en particulier, est aussi au Fender Rhodes, un instrument bavard difficile à maîtriser, Christophe Wallemme, contrebasse et basse électrique assure le soutien rythmique et Antoine Banville se fait plus percussionniste que batteur évoquant les mythes des cultures disparues pour des compositions signées par le guitariste – mis à part « Where is the line » de Bjork.
Il reste que, malgré des débordements maîtrisés – le free jazz, le rock le plus dirty sont entrés dans le mainstream et font du bagage de chaque musicien(ne) – il manque le grain de folie qui fait toute la différence. Une musique dans l’air du temps sans faire de concessions à l’air du temps.
« Place To Be », Alex Stuart, Gaya Music Production, distribution Abeille Musique.

Un contrebassiste, Jean-Claude Oleksiak, après avoir animé La Fabrica’son, association de Malakoff, a décidé de créer, avec d’autres, un label de jazz qui porte ce nom, « La Fabrica’son ». Un geste qu’il faut saluer. Tellement de labels disparaissent en ces temps difficiles, qu’une naissance se doit d’être salué comme il se doit. Longue vie.
Pour ce premier opus, « A ciel ouvert » – tout un programme – il a fait appel à un quartet réunissant les jeunes musiciens d’aujourd’hui qui commencent à se faire un nom. Emile Parisien au saxophone soprano, Pierre Perchaud à la guitare et Antoine Paganotti à la batterie. Une belle affiche qui devrait aider à augmenter les ventes.
La sonorité d’ensemble n’est pas très éloigné de celle de Alex Stuart comme si ces jeunes musiciens de la scène parisienne était en train de créer un son d’ensemble tout en étant séparés. Les influences sont les mêmes. Rock, « musiques du monde » – méditerranée et Balkans – le jazz sous toutes ses formes pour créer un son. Dominent les références au modal – Miles Davis -, Steve Lacy, Dave Liebman comme figure de proue d’une œuvre en train de se faire mais aussi tous les grands de la contrebasse à commencer par Jean-François Jenny-Clark et Dave Holland. Les compostions du bassiste appellent l’énergie des participants pour les faire vivre. Dans l’ensemble, le quartet fonctionne. Une sorte d’appel au rêve, à l’utopie pour avoir les pieds sur la lune et la tête à l’envers. Les rythmes s’enchaînent pour créer une sensation de dépaysement.
« A ciel ouvert », Jean-Claude Oleksiak, La Fabrica’son.

Paul Bley, né le 10 novembre 1932, est un contre exemple. Il reste un pianiste créatif qui se sert de toutes les innovations auxquelles il a participé pour continuer à construire son monde en expansion continue. Il donne l’impression, surtout en piano solo comme c’est le cas ici pour cet album ECM « Paul Bley play Blue », un concert enregistré à Oslo en août 2008, de ne connaître aucun limite. Paul est capable de se renouveler beaucoup plus que Keith Jarrett qui donne désormais l’impression de se répéter. Pourtant, dans l’ordre d’apparition à l’écran, c’est Paul qui a influencé Keith. Que dire de cette divagation autour des bleus, de ces bleus à l’âme qui laissent des traces indélébiles en même temps qu’ils participent à des souvenirs souvent mis en scène, sinon que cette improvisation fait partie de celle qu’il faut entendre et réentendre pour découvrir tous les mondes du jazz. C’est une plongée profonde qu’il nous propose, dans des rêves inachevés, toujours recommencés, de ces rêves à la fois angoissant et profonds dans lesquels nous nous enfonçons avec délice pour sonder l’autre côté du miroir. Le côté bleue de la force existe, Paul nous l’a fait rencontrer. L’absence de Paul Bley est durement ressentie dans les festivals de cet été…
« Paul Bley play Blue », ECM/Universal.
Nicolas Béniès.