Un pan de notre mémoire.
Bruno Blum, par l’intermédiaire des coffrets publiés par Frémeaux et associés sur Elvis Presley, poursuit son œuvre de salubrité publique mêlant les souvenirs, le travail de mémoire et l’histoire culturelle. Le tout à travers la trajectoire d’Elvis Presley. Le volume 1 s’arrêtait en 1956, au moment où Elvis commence à connaître la gloire. Ce tome 2 ne couvre qu’une année, 1956-1957, mais remplie de bruits et de fureurs, de dénigrements, de calomnie, d’accusations plus imbéciles les unes que les autres de ces « ligues » de défense de la morale, de ces Eglises qui ne savent qu’exclure, excommunier. Peter Guralnick, cité ici, dans sa monumentale biographie d’Elvis (traduite aux éditions du Castor Astral) reprend tous les articles, toutes les déclarations contre Elvis. Bruno Blum rajoute les appréciations de Boris Vian qui – il l’a affirmé à plusieurs reprises – n’aimait pas le rock. Il trouvait – et il n’a pas toujours tort – que c’était une simplification du blues et qu’il était souvent vulgaire faute d’introduire le « double entendre », comme disent les Américains, du blues, cette ironie singulière qui transforme la grossièreté apparente en une poésie étrange.
Pour Elvis, la critique a été aveugle. Les assertions du Bison Ravi indiquent qu’il n’a même pas entendu le coupable et encore moins ses avocats. Il s’institue procureur et jury. Il a condamné d’avance. Il fera preuve de cette même hargne en ce qui concerne les musiciens de jazz « blancs » comme Chet Baker. Nul n’est infaillible ni prophète. En général, les prophètes ne savent prévoir que… le passé.
Bruno Blum, dans le livret comme dans le choix des enregistrements, a voulu redonner sa place à Elvis dans l’histoire de la musique américaine qui est aussi un peu – beaucoup, passionnément, à la folie – notre propre histoire et notre propre mémoire…sans compter les souvenirs. Qui n’a pas dansé au son de la voix d’Elvis, ne connaît pas le sens du frisson qui vous prend à deux…
Bruno Blum veut démontrer que Elvis a créé un style que Sam Phillips – son premier producteur, celui des disques « Sun » – appellera « rockabilly », cette sorte de rencontre improbable entre le Noir et le Blanc, entre ces deux créations étatsuniennes, le « Hilbilly » dite aussi « Country and Western » et le blues. Ce n’est pas pour rien que Elvis a grandi à la frontière de « Beale Street », le ghetto noir de Memphis. Memphis une des villes de naissance du blues et du jazz. Il se raconte que c’est là, sur le quai d’une gare, que W.C. Handy, trompettiste et premier compositeur recensé du blues, a entendu un Noir chanté et a recopié sur une partition ces « chants » provenant de la période de l’esclavage et de la libération…
Le voyage passe par Little Richard. Elvis n’aura jamais la folie de Richard Penniman – le nom d’état civil de celui qui fera des allers-retours entre l’Eglise et le rock, capable de jeter tous ses bijoux, en toc, dans l’eau pour faire repentance – mais saura garder son style, même en chantant des gospels. Il ne sera pas le seul croyant dans ce monde de brutes. Johnny Cash lui aussi chantera ces chants d’Eglise… Les gospels comme les blues font partie de la même tradition.
Mais aussi par des bluesmen moins connu comme Smiley Lewis – dont parle James Lee Burke dans plusieurs de ses romans du côté de la Nouvelle-Orléans – ou très connu comme « Fats » Domino. Les chanteurs de country ne sont pas oubliés ni même les groupes vocaux comme les Drifters ou même… Mahalia Jackson pour ces gospels.
Apparaît un Elvis bien plus complexe que ne le croyait Boris Vian, plus inscrit dans l’histoire de la musique américaine qu’il aussi marquée de son sceau. Le « King » roi de pacotille sacré par le marketing se révèle être un grand artiste. On attend la suite…
Nicolas BENIES.
« Elvis Presley & the American Music Heritage, vol 2 1956 – 1957, présenté et annoté par Bruno Blum, Frémeaux et associés, coffret de trois CDs.