Les statistiques sont claires et presque sans appel : la parution des romans est revue à la baisse, tendance déjà constatée depuis la pandémie. Un peu plus de 450 au lieu des plus de 500 (550 en 2019). Un nombre qui reste au-delà des capacités d’un lecteur même hors-norme. Une majorité restera en jachère. Certains seront repêchés, et trouveront leur public.
Comment interpréter cette baisse relative programmée voulue par les éditeurs ? Certains critiques incriminent la baisse de la lecture mais force est de constater que l’attrait du livre comme objet ne se dément pas malgré tous les progrès du numérique. La conséquence plutôt de la baisse du pouvoir d’achat qui se traduit par une transformation profonde, affectant le genre de vie, des habitudes de consommation.
Commençons par un livre de poche (pas sur qu’il soit compris dans la statistique…)
Quelle est le féminin d' »entraîneur » ?
Sonia, née dans le Midwest des États-Unis a décidé de devenir Jockey. Elle a deux handicaps, un c’est une femme et de deux elle est trop grande. Son amour des chevaux la conduit sur les champs de course. Commencée au bas de l’échelle, lad en l’occurrence, elle s’affirme comme une « entraîneur » reconnue par ses pairs. La fin de carrière se joue en dehors des champs de course et des chevaux au galop dont il faut s’occuper quasiment 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il est préférable d’avoir la passion chevillée au corps pour accepter ces conditions de travail qui se font encore plus dures pour une femme qui doit faire la preuve – comme dans la plupart des métiers – qu’elle est capable de dépasser un homme pour être acceptée.
Kathryn Scanlan, à partir du témoignage de Sonia, d’enquêtes sur les champs de course pour décrire cette micro sociétés aux règles spécifiques tout en restant soumise aux préjugés et au sexisme de l’ensemble de la société, fait vivre – bien servie par la traductrice Lætitia Devaux -, à l’aide de petits tableaux le parcours semé d’embûches de Sonia. Viols, des maris, comme elle le dit, idiots ou abrutis, des tentatives de corruption, le lot habituel de ceux et celles marié.e.s aux chevaux qui dominent toute leurs pensées, toute leur affection et sans doute tout leur amour.
Évidemment, il est difficile d’éviter des poncifs comme « un livre qui se lit au galop », mais qui se vérifie. Le titre français est une trouvaille et fait office d’introduction, « Cavaler seule ». Pourtant, à la fin de la course effrénée, ce portrait d’une femme continuera à exister. Il vous faudra relier tous les fils pour comprendre le chemin qu’elle a emprunté.
Par on ne sait quel philtre, la grâce de l’écriture en particulier, l’autrice nous entraîne vers ces univers étranges, faisant partager, une vie, un destin. Un petit livre qui est un grand livre. Sonia, une fois invitée, ne vous quittera plus.
Nicolas Béniès
« Cavaler seule », Kathryn Scanlan, traduit par Lætitia Devaux, 10/18
C’est la rentrée (2)
Un conte moderne féministe (et Québecois)
Une rencontre improbable d’une femme et un homme en quête d’amour à donner et à recevoir dans un endroit étrange, un routier au nom bien sur prédestiné « Thank God » (Grâce à Dieu). Une femme riche, délaissée par son riche mari un peu escroc, un peu tombé dans les filets du grand banditisme et un routier marqué par la mort de son fils et l’alcoolisme de sa compagne. Le couple en formation veut défendre la jeune serveuse, belle comme un cœur, enceinte, de son mari qui la roue de coups. Le trio devient une machine à régler tous les comptes. Féminicides, incestes, viols… trouvent ici leur juste châtiment même si la Justice n’y est pour rien. Le tout agrémenté de ce français spécifique aux termes étranges qui donnent une saveur particulière à ce roman au titre évocateur « Des jardins secrets remplis d’orties ».
Au-delà de son côté ravissant de vengeance, la partition est un peu faible. peu de rebondissements. Le scénario brasse tous les thèmes dans l’air du temps sans que les aspérités de la société encore fondamentalement patriarcale apparaissent et bloquent les projets de vengeance. Les personnages secondaires surtout ont du mal à exister.
Il reste de ce conte pourtant une volonté de dénoncer, de vouloir vivre au-delà de tout, d’indiquer que l’amour, que la solidarité avec les autres sont essentiels et, surtout, qu’il faut toujours combattre l’injustice, la remise en cause des droits à n’importe quel prix. Une des raisons pour laquelle le lecteur ne quitte pas le livre.
Nicolas Béniès
« Des jardins secrets remplis d’orties », Dominique Bertrand, Edition La Belle Etoile