Révolution(s)

Années folles, années de libération des femmes
« Les garçonnes », une figure majeure des « années folles », n’ont pas suscité beaucoup d’études sociologiques. De manière générale, cette période de l’entre-deux-guerres reste un peu ignorée des historiens français. « La garçonne », on s’en souvient peut-être, est un roman de Victor Marguerite qui fit scandale et se vendit comme des petits pains. L’auteur en perdit la légion d’honneur ! Il mettait en scène une femme trompée, puis lesbienne et droguée pour trouver, à la fin, l’amour bourgeois.
Christine Bard se saisit de cette représentation pour aborder le sujet de l’homosexualité féminine surtout, en multipliant les références dans la littérature à commencer, bien sur, par Colette, pourtant, comme elle le souligne, une référence ambiguë. La garçonne – « flapper » pour Scott Fitzgerald, terme qui aura la vie aussi courte que garçonne – sera le terme qui synthétisera l’émancipation des femmes pendant cette période qui verra aussi l’apparition des « mannequins ». Les femmes se libèrent des corsets et autres jupons pour enfiler des vêtements masculins comme le pantalon – qui sera interdit à l’école publique jusque dans les années 1960 – et des vêtements amples permettant aux corps de vivre et surtout de danser sur des airs arrivés d’outre atlantique début 1918 via l’orchestre de James Reese Europe. « Jazz » est la dénomination la plus utilisée. Jazz devient un synonyme de « garçonne ». Il ne faudrait pas oublier les vents, les souffles de la révolution russe qui alimentent les désirs de transformation. Tout est possible dit-elle à la face du monde.
La mode – tenue souvent par des hommes – mettra du temps à intégrer cette nouvelle donne. Sans retour en arrière possible. Les cris d’orfraie de toute la droite, commencer par l’Action française, n’y feront rien. Comme d’habitude les Juifs seront accusés de tous les maux, Léon Blum en particulier pour son « Traité du mariage » dans lequel il préconisait une vie sexuelle avant le mariage. Christine Bard donne des indications facétieuses sur les longueurs des robes ou des jupes autorisées au fil de ces années.

Dans cet essai écrit en 1997, et depuis introuvable jusqu’à cette réédition, l’autrice ne fixe pas vraiment son sujet. Elle mêle la revendication des lesbiennes à vivre ouvertement leurs choix amoureux et les garçonnes comme expression d’une volonté plus large : la remise en cause de la société patriarcale et capitaliste. Le roman de Marguerite inclut cette superposition par son intrigue mais il aurait fallu choisir le centre d’intérêt principal. La postface donne une clé pour expliquer le point de vue de l’autrice. Elle prône une « histoire non hétéro centrée des garçonnes » qui la pousse, ce sont les ouvrages qu’elle a publiés ensuite, à analyser « les travestis ». Elle n’oublie pourtant pas la libération de toutes les femmes et, dans la suite, des hommes tout autant. Là où elle tape juste : elle oblige les lecteurs à s’interroger sur l’Histoire, notamment de cette période. Les historiens oublient trop souvent les femmes, leur histoire et leur place. Mais c’est en train de changer et radicalement.
Nicolas Béniès.
« Les garçonnes. Mode et fantasmes des années folles », Christine Bard, Autrement