Le capitalisme a un avenir mais est-il éternel pour autant ?

Comment lire le capitalisme et son avenir ?

Branco Milanovic a conçu la « courbe de l’éléphant » – titre son livre précédent, aux éditions de La Découverte – pour faire voir à la fois la montée des inégalités entre les pays et à l’intérieur des pays tout en laissant percevoir les résultats de la croissance des pays asiatiques qui a permis, un temps, la sortie de la pauvreté d’une partie de la population. Une nouvelle classe moyenne était en train de naître dans les pays de la périphérie, à commencer par la Chine.
« Le capitalisme sans rival » est, d’abord la prise en compte de l’entrée dans le 21e siècle qui se signifie par la chute du Mur de Berlin en novembre 1989. A partir de cette date fondatrice, le monde ne connaît plus qu’un mode de production – pour parler comme Marx -, le capitalisme.
L’auteur se réfère à la fois à Marx et à Max Weber pour appréhender la dynamique du capital, en se servant des concepts qu’ils ont forgés sans craindre quelques incohérences dues à des champs théoriques différents. Il se sauve par l’objet même de son travail les raisons des inégalités.
Il ne craint pas de faire appel aussi à Adam Smith, le père de l’économie politique qui fait de l’intérêt individuel le moteur de la volonté de produire pour faire du profit mais ne fait pas confiance à la somme des intérêts égoïstes pour déterminer le bien commun, collectif contrairement aux théoriciens néo-classiques.
Sur ces bases, Branco Milanovic construit une typologie des capitalismes dans le contexte de la mondialisation à dominante financière et sous la contrainte de la compétitivité pour générer le profit maximum à court terme et satisfaire les actionnaires. Il en arrive à deux grands types : « Le capitalisme méritocratique libéral » – libéral au sens anglo-saxon, de « gauche » – très fortement en perte de vitesse et « le capitalisme politique » à l’exemple de la Chine, qui pourrait servir de modèle.
Branco Milanovic permet de voir la forme de la mondialisation actuelle. Marx avait déterminé la mantra fondamentale du capitalisme, « Accumuler, accumuler toujours davantage », pour peser son poids en argent. Le capitalisme actuel est une sorte d’abstraction de cette messe via la financiarisation de l’économie qui transforme tout, y compris les relations sociales, en marchandise. La marchandisation touche tous les secteurs comme conséquence de l’individualisation.
La chaîne de valeurs internationale repose uniquement sur la baisse du coût du travail pour augmenter le profit d’une firme. La pandémie a révélé que cette logique micro économique a donné un pouvoir énorme aux filiales d’atelier dont la Chine dans les échanges internationaux.
Trump a fait la démonstration de la popularité, sous la forme du populisme le plus outré, du thème anti mondialisation et de la nécessité de sauvegarder les intérêts nationaux. C’est déjà présent dans la thèse de l’auteur écrit avant la pandémie.
La préface de Pascal Combemale est une introduction nécessaire à la lecture de cet essai sous titré « L’avenir du système qui domine le monde ».
Nicolas Béniès
« Le capitalisme sans rival », Branco Milanovic, traduit par Baptiste Mylondo, préface de Pascal Combemale, La Découverte, 303 p.

Et la pandémie ?
Branco Milanovic ne pouvait prendre en compte la pandémie. Le virus a révélé l’état du monde, la forme de la mondialisation et la nécessité de reconsidérer à la fois la pratique, la dépendance vis-à-vis de Chine, et l’idéologie néo libérale qui a conduit à la place fondamentale des firmes transnationales dans la conduite de l’économie et à la croissance des inégalités. La COVID19 a aussi accéléré, approfondi toutes les contradictions existantes. La crise sanitaire est d’abord une crise économique systémique profonde. C’est la thèse que développe Robert Boyer, dans « Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie », en voulant forger un nouveau vocabulaire pour attirer l’attention sur la dimension de cette rupture qui devrait ouvrir la voie à une nouvelle révolution du capitalisme.
Contrairement à Slavoj Zizek, « Dans la tempête virale », Boyer ne croit pas à la disparition du « national populisme ». A juste raison. Le « populisme » peut-être de « droite » ou de « gauche » – suivant le degré d’avancées sociales – et a, Trump l’a montré aux États-Unis, de beaux jours devant lui. Sans parler du « retour de l’État »…
N.B.
« Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie », Robert Boyer, La Découverte, 200 p. ; « Dans la tempête virale », Slavoj Zizek, traduit par Frédéric Joly, Actes Sud, 114 p.