Que reste-t-il lorsque tout s’éteint ? Des images, des souvenirs brouillés par le temps et l’espace. J’ai une image de Jacques Coursil, lointaine, au piano chez un ami commun et me proposant de jouer à mon tour. Refus poli. Je savais déjà pourtant que ce n’était son instrument. Je savais que ce garçon athlétique était tombé amoureux de la trompette.
Il intègre donc un Conservatoire pour étudier la clarinette et se retrouve avec un cornet entre les mains, seul instrument qu’il était possible de lui prêter.
Qui peut parler de vocation ?
A la recherche de ses racines, réelles et imaginaires, il part, après l’assassinat de Malcolm X – 21 février 1965 – pour les États-Unis, New York la Mecque du jazz. Ces années sont des années de révolution. Depuis la « Révolution d’octobre » (1964), menée activement par Cecil Taylor et Archie Shepp, le jazz est en train, une nouvelle fois, de s’outrepasser. Il sera question de New Thing, de Free Jazz. Très tôt, en 1966, pour

Réédition d’un album de 1966. Jacques rencontre quelques uns de ses compagnons de 1969 à Paris : Byard Lancaster (as) et Alan Silva (b)
Il se fera une place dans ces mondes où la concurrence est dure et intégrera l’Arkestra de Sun Ra pour en devenir le premier trompette, celui qui conduit toute la section. Une reconnaissance. Il le quittera pour une fausse note. Les partitions – le free jazz n’est pas sans structure – de Sun Ra doivent être jouées comme le veut le chef. Chaque note a sa fonction et son importance pour réaliser le bonheur par la musique. Une note pas juste et c’est le Cosmos qui s’effondre. Le jeune homme n’a pas accepté l’homélie et s’en est allé avec son instrument.

Le deuxième album, dans la foulée, « Black Suite », occupe les deux faces du 33 tours. Un accomplissement des apprentissages de toutes ces années.
J’ai une deuxième image/souvenir de Jacques, celui d’un étudiant déjà vieux sans que cette vieillesse s’inscrive sur les traits de cet athlète adepte de tous les sports, à la fac de Caen. Il fait des infidélités à la trompette pour se lancer dans la linguistique et une réflexion sur les mathématiques. Carrière de prof pour l’université des Antilles Guyane et à Cornell University, là même où Charles Mingus donna un concert en 1964, le hasard ?
En 2002, John Zorn, un de ses anciens étudiants, lui propose d’enregistrer pour son label Tzadik. Il a commencé à se remettre à la trompette. Elle le demande. Elle ne comprend pas d’avoir été abandonnée aussi longtemps. L’histoire d’amour recommence. Aucun oubli mais tout est transformé. « Minimal Brass », indique le titre de l’album.
]Une carrière recommencée. Universal le contacte en 2007 pour le faire enregistrer et ce sera « Clameurs » avec des apports littéraires, Frantz Fanon – on allait écrire évidemment -, Édouard Glissant pour boucler une boucle commencée dans son adolescence.

Jacques Coursil est mort le 26 juin. Il avait 82 ans.
Nicolas Béniès.