Jazz, d’un orchestre national de la lune à des histoires imaginaires en passant par le dialogue de deux percussionnistes, un menu alléchant.

Du côté des sélénites.

La lune est très visitée ces temps-ci. L’Orchestra Nazionale della Luna, en fait un quintet, fait partie des habitants habituels de notre satellite. Ils ont même la nationalité. L’album vient aussi d’une autre planète produit qu’il est par le Budapest Music Center Records qui sait résister à toutes les ambiances nauséabondes par le jazz. La référence à la « Nation » lune permet l’ouverture à toutes les influences, à toutes les danses à commencer par la musique arabo-andalouse que le quintet sait faire swinguer. Manuel Hermia, saxophoniste, flûtiste et joueur de bansun, Kari Ikonen, pianiste et utilisateur du Moog – on se souvient que cet instrument était utilisé par Sun Ra -, Sébastien Boisseau est à la contrebasse et Teun Verbruggen à la batterie savent créer ensemble sans que l’un d’entre eux prenne la tangente et s’oriente vers Mars. Cette volonté commune de faire surgir d’autres paysages, de s’enfoncer dans un cratère, de respirer un autre air et s’envoler loin de la pesanteur marque toutes les compositions.
L’impression de voguer entre plusieurs atmosphères pourrait laisser l’auditeur sur le rivage, il aurait tort. Le titre lui sert d’indicateur : « There’s still life on earth », une manière de voir la terre et son lot de mutations climatiques. La vie sur terre se sent menacée. Il faut donc se plier à ces paysages escarpés, étranges qui font du sol lunaire un monde à part que cherche à circonscrire ce quartet. Se laisser porter est la seule solution lorsque la pesanteur se fait moins forte. Léger soudain et attentif aux différentes entrées pour tenter le dépaysement. Avouons que nous en avons besoin.
Nicolas Béniès.
« There’s still life on earth », Orchestra Nazionale della Luna, BMC

Réunion pianistique.
Will Vinson, saxophoniste alto, signe cet album « Four Forty One », 441, pour fêter ses 20ans… de présence sur la scène américaine. Ce natif de Londres, pianiste manqué selon ses propres dires, a décidé de revenir sur son voyage musical en compagnie de pianistes pour se situer dans les mondes changeants du jazz. Il propose un véritable panorama : Sullivan Fortner, Tigran Hamasyan, Gérald Clayton, Fred Hersch, Gonzalo Rubalcaba seul ou avec leur trio lui permettent à la fois d’exprimer ses mémoires mais aussi d’entendre les différences et convergences entre ces pianistes.
Un album indéfinissable et indispensable pour saisir la musique en mouvement.
N.B.
« 441 », Will Vinson, Whirlwind Records.

Dialogue
Réunir deux batteurs/percussionnistes est risquée. Ils pourraient faire preuve de leur virtuosité pour perdre leur âme. Mais Gerry Hemingway et Vincent Glanzmann ont évité ce piège en se servant aussi de l’électronique, des micros pour créer des espaces étranges qui suscitent des images, des films à créer dans des douloureuses et comiques mises en scène. Le rire est simultané avec l’angoisse, naît d’elle et la combat dans le même temps. Notre monde, surtout après le confinement, est lourd de peurs diffuses face à un ennemi invisible qui tord toutes les relations sociales.
« Composition O », un appel à l’essentiel face à un trop plein de marchandises. Pour se retrouver et retrouver le sens du bien commun. Une sorte de retour à la nature, à la frugalité pour se nourrir de rires et de sons perdus. Les percussions parlent de nos ancêtres, de ces discours sans mots provenant du fond des tambours.
Une manière de rappeler la nécessité de lutter contre toutes les oppressions, tous les racismes.
N.B.
« Composition 0 », Vincent Glanzmann, Gerry Hemingway, FSR

Voyages immobiles
Contrebassiste et compositeur, Gabriel Midon invite à un festin princier. La nourriture qu’il nous tend est celle des histoires d’évasion, des contes poétiques pour enfants qui veulent déplacer des montagnes sans bouger le petit doigt. La force de l’imagination, de celle qui se dérobe souvent face à la réalité, prégnante, revêtant son manteau de nécessités, obligeant à rester cloué au sol de nos habitudes. Le besoin de partir est pressant. Partir sans bouger est le voyage, Pessoa l’avait déjà dit, le plus fatigant, celui qui ne laisse pas de répit. Une fois commencé, il ne s’arrête plus déployant toutes ses ailes pour magnifier, métamorphoser la réalité.
Midon et ses compagnons, Ellinoa au chant, Pierre Bernier au saxophone, Simon Martineau à la guitare, Édouard Monnin au piano et Baptiste Castets ou Thomas Delor à la batterie, ne font pas mystère de leurs intentions : « Imaginary Stories » ont-ils prévenus. Le mystère est ailleurs. Dans les enchaînements, dans les images générées par la musique, dans les mots qu’il faut trouver.
A découvrir.
N.B.
« Imaginary Stories », Gabriel Midon, Absilone