Témoignage du 19e siècle d’une femme sincère, vraie.
Le débat stratégique du 19e siècle agitait tous les cercles révolutionnaires. Comment se débarrasser du régime tsariste alors que la démocratie commençait à s’installer dans le monde ? Fallait-il suivre la voie des assassinats des potentats à commencer par le tsar lui-même ou étudier d’autres voies ? « Terre et liberté » puis – pour garder l’ordre chronologique – « La Volonté du Peuple » avait choisi les attentats terroristes. Attentats qui n’ont rien à voir avec ceux que nous subissons actuellement. Ils représentent un moyen de libération d’un pouvoir despotique qui enferme et tue ses opposants. La seule fuite possible est celle de l’exil. Ce sera le cas pour Lénine et Trotski notamment.
Vera Figner fut la figure de proue de cette volonté libératrice. Issue de la petite noblesse, elle prend conscience de la nécessité de lutter contre ce pouvoir tout puissant. Les restes du féodalisme avec le servage marquent encore cette fin de siècle. Vera passera plus de 20 ans dans cette zone de non-droit qu’est la forteresse de Schusselbourg, située au nord de Petrograd, des années 1880 à l’après révolution de 1905.
Vera Figner écrira ses « Mémoires d’une révolutionnaire » – elles viennent d’être rééditées – en témoignage à la fois de toute une génération qui voulait la fin de l’absolutisme et d’une époque révolue de souffrances et de répressions. Elle décrit cette société encore féodale par certains aspects confrontés à la montée du capitalisme qui crée une distorsion et provoque une révolte. Elle retrace son itinéraire et la nécessité qu’elle ressent de mettre ses actes en accord avec son éthique.
Elle restera, après la révolution de 1917 une égérie d’un siècle dépassé, protégée par Staline. Elle ne se mêlera plus de politique. Elle meurt en 1942, à l’âge avancé, pour cette ancienne prisonnière, de 90 ans.
La première traduction de ces « Mémoires » parurent chez Gallimard en 1929 dans une traduction, reprise par le Mercure de France, de Victor Serge. Philippe Artières qui a établi et présente cette édition – et signe un beau portrait de Vera Figner – oublie de préciser la stature du traducteur. Victor Serge qui se qualifiait d’anarchiste, ami de Trotski, participât à la révolution russe, fut lui-même un grand écrivain. Son livre, « Minuit dans le siècle » est devenu un classique. A son propos, il faut lire sa « biographie politique » par Susan Weissman, « Dissident dans la révolution », traduction française aux Éditions Syllepse (Paris 2006) pour appréhender sa place.
Philippe Artières fait peser sur les épaules de Lénine, la rouerie de Staline. Je ne sais ce qu’il en est de Staline, s’il a voulu utiliser l’image de Vera Figner mais, pour ce qui est de Lénine, tout semble prouver qu’il avait une véritable admiration pour cette révolutionnaire du temps passé. Lénine avait assisté à des exécutions d’opposants dont celle de son frère… C’est la mode pour la plupart des historiens de peindre en gris sa biographie et de le rendre responsable de la contre révolution qui va suivre. Comme si l’histoire n’était pas faite de ruptures et de possibles.
La collection « Le temps retrouvé » mérite bien son nom. Il faut redécouvrir Vera Figner. Dans sa manière de se raconter apparaissent les prémisses de la violence de cette révolution qui transforma le monde, suscitant un énorme espoir. Poutine ne veut pas fêter ce centenaire… Il reconnaît ainsi que n’est pas le sien. Recevoir Marine Le Pen et faire plus ou moins alliance avec Bannon n’a pas grand chose à voir avec la mémoire de la révolution russe de février et d’octobre 1917. Lénine pensait révolution mondiale et pas « socialisme dans un seul pays » encore moins capitalisme autoritaire.
Nicolas Béniès.
« Mémoires d’une révolutionnaire », Vera Figner, traduit par Victor Serge, Mercure de France, collection « Le temps retrouvé », Paris 2017.