Londres février 1381
A force de parutions sous des pseudonymes divers, il est facile d’oublier le talent inimitable de conteur de Paul Doherty. Surtout lorsqu’il s’agit des enquêtes du frère Athelstan dans ce Londres de la fin du 14e siècle. Pour les deux dernières parues dans la collection Grands détectives chez 10/18, « Le livre des feux » et « La torche ardente », l’auteur a conservé la même date, le mois, glacial si l’on en croit sa description, de février 1381. C’est le règne du Régent Jean de Gand qui pressure le peuple d’impôt pour enrichir ses collecteurs et lui-même. La révolte gronde dans le Londres populaire. Elle est prête d’éclater. Les populations s’organisent à travers des sociétés secrètes et militaires. Le Frère essaie, par tous les moyens, de protéger sa communauté y compris contre le Régent, avec l’aide du Procureur du Roi, Sir John Cranston. La première tourne autour du « Livre des feux » attribué à Marcus le Grec, des formules permettant de fabriquer des explosifs ou des feux se propageant rapidement sur les habits des personnes visées. Une histoire compliquée d’amour, de haine et de lucre.
A la lumière – si je puis dire – du deuxième, cette intrigue apparaît d’une simplicité…biblique ! « La torche ardente » – le nom d’une taverne dans laquelle sont assassinés deux collecteurs d’impôts et leur troupe – est tellement complexe qu’il y faut plus d’un tiers des 355 pages seulement pour l’expliquer. Le plaisir est parfait même si quelques invraisemblances se glissent dans la démonstration du frère. Reste la description des quartiers de Londres dans lesquels seuls les ecclésiastiques sont à l’abri de la rapine et de la mort. Sans oublier la mise en évidence de la pauvreté du plus grand nombre et du luxe – sinon la luxure – des plus riches. Dans ce même mouvement, il indique aussi que l’idée de Nation n’était pas encore née.
L’usine – c’est un terme qui convient à ce travail monumental – Paul Doherty a, pourtant, généré un style. Il ne faut pas moins de deux traductrices pour en rendre compte en français. J’imagine qu’une des deux est spécialiste du langage de ce temps…
Il faut avouer qu’on ne demande qu’à y retourner dans l’Abbaye de Frère Athelstan pour une leçon d’Histoire mais aussi d’humanité. Le tout distillé sous la forme d’un jeu de l’esprit, une sorte de mastermind. La référence se trouve plutôt du côté d’Agatha Christie que des grands auteurs américains du genre à l’exception, peut-être, d’Edgar Allan Poe.
Le prochain arrivera peut-être à changer de mois et à relater cet affrontement de classes, du « petit peuple » de Londres contre ce Régent assoiffé d’or et de pouvoir. Il est attendu avec impatience.
Nicolas Béniès.
« Le livre des feux » et « La torche ardente », Paul Doherty, traduits par Christiane Poussier et Nelly Markovic, 10/18