Comment « faire » de l’Histoire ?
Michèle Riot-Sarcey s’est lancée dans une vaste entreprise. Redonner vie à des concepts oubliés, la fraternité, la liberté via une méthode historique qui vient de Walter Benjamin et des concepts élaborés par Michel Foucault pour redonner vie aux « vaincus », aux oubliés. La fabrique de l’Histoire offre un récit « en continu », sans ruptures. Surtout sans révolution. la révolution française de 1789 marque l’entrée dans un nouvel ordre du monde. Désormais la légitimité vient du peuple et non pas de Dieu. La Nation apparaît avec son cortège de réécriture de l’Histoire pour la faire remonter à l’époque féodale. La monarchie n’a pas besoin du concept de Nation. Le Roi est l’oint de Dieu. La force de l’Église vient de ce rapport direct avec Dieu et par-là même avec le pape. Comme 1848, une révolution à l’échelle de l’Europe qui pouvait emporter la bourgeoisie notamment en Allemagne. « Le manifeste du Parti Communiste » de Marx et Engels est écrit dan ce contexte de rupture. « Un spectre hante le monde, la communisme » avaient-ils prévenu dans un bel élan. 1848 n’a pas vraiment été analysé et Riot-Sarcey en fait un des moments du processus de libération et d’émancipation. Celle de 1871 ira plus loin encore.
« Le procès de la liberté » se veut « une histoire souterraine du 19e siècle en France », une histoire forcément tourmentée dont le « héros est l’ouvrier », pour citer Benjamin et qui n’est pas déterminée. Elle veut mettre au jour le processus qui conduit à cette aspiration de la liberté et de la démocratie. Les vainqueurs, la bourgeoisie, ne sont pas les seuls à avoir construit l’environnement économique, social, politique. Les masses en mouvement ont fortement contribué à cet édifice. Elles ont empêché le capitalisme de suivre sa pente en la descendant. Le passé est trop souvent décomposé et recomposé pour les besoins idéologiques du présent, pour donner un sens à cette histoire « pleine de bruits et de fureurs menée par un imbécile » pour citer Shakespeare.
Le champ des possibles est très étendu. Le déterminisme est une invention de l’empirisme. Les « vaincus » de la guerre de classe orientent les sorties, la forme du capitalisme. La liberté est grande. C’est la grande leçon de ce livre.
Nicolas Béniès.
« Le procès de la liberté, une histoire souterraine du 19e siècle en France », Michèle Riot-Sarcey, La Découverte. Paris, 2016, 355 p.