Crise financière et crise économique

La troisième crise financière a commencé… dans l’indifférence générale.

Le 24 août 2015, la Bourse de Shanghai chute brutalement. Un processus de crise financière mondiale se déclenche. L’onde de choc atteint les Bourses de tous les pays développés. Comme à l’habitude depuis l’entrée dans la crise systémique en août 2007, les banques centrales sont les seules à réagir. Elles augmentent la création monétaire pour alimenter les marchés financiers en liquidités permettant la poursuite de la spéculation à la hausse. Dans un premier temps les marchés financiers se redressent et la peur disparaît. Pourtant, cette riposte ne se situe qu’au niveau de la manifestation de la crise et n’agit pas sur ses causes. La crise s’est donc poursuivie obligeant « Les Échos » à faire sa une, le jeudi 21 janvier 2016 sur « Le krach rampant », les Bourses de New York, Paris, Tokyo, Londres ayant dévissé de plus de 3%, une baisse énorme.

Quelles sont les causes de cette nouvelle secousse ?
Il faut d’abord comprendre le contexte. Le capitalisme connaît, depuis août 2007, une crise qui s’attaque aux fondements même du régime d’accumulation mis en place dans les années 1980, ce régime d’accumulation à dominante financière qui se traduit par le courtermisme et par la domination des critères du capitalisme financier à commencer par la nécessité d’augmenter le profit à court terme. A la clé, l’atonie des investissements faute d’horizon à moyen terme, la baisse du coût du travail comme unique variable d’ajustement et la tendance à la surproduction. La nécessité, pour le capitalisme, de se révolutionner en détruisant le mode ancien pour ouvrir les possibilités d’un régime d’accumulation nouveau. Le monde bascule… et la politique devrait prendre en charge les orientations vers un monde différent. Il faudrait, pour ce faire, que les gouvernements et les grandes institutions internationales rompent avec l’idéologie libérale…
Fort logiquement, depuis la récession, profonde, de 2008-2009, le monde capitaliste n’a pas renoué avec la croissance. Pour bien faire comprendre son incapacité à intégrer cette vision du basculement du monde, le mensuel économique « L’Expansion » de décembre-janvier 2016 a titré son dossier : « La re crise ». C’est aussi une prise de conscience des changements en cours de la conjoncture…
Désormais les pays émergents ne servent plus de roue de secours. Ils sont, à leur tour, touchés par la récession ou une baisse prononcée de leur croissance. Situation qui a obligé le FMI à revoir ses prévisions de la croissance mondiale à la baisse.
La surproduction sévit se traduisant par la déflation qui mine l’ensemble des économies développées et le commerce mondial. Les prix de toutes les matières premières, à commencer par le pétrole, sont orientés à la baisse. Une baisse massive pour le cours du pétrole atteignant péniblement 30 dollars le baril alors qu’il cotait plus de 110 dollars en 2014. L’affaiblissement de la rente pétrolière touche tous les pays exportateurs de pétrole, de l’Arabie Saoudite à l’Algérie en passant par le Venezuela, le Mexique et le Brésil. Sans oublier la Fédération de Russie. La récession revient et le rouble amorce une dangereuse dépréciation.
Même les États-Unis sont touchés. Ils veulent commercialiser leur pétrole et leur gaz de schiste produits au détriment de leur environnement. Les producteurs ne sont pas compétitifs et enregistrent des faillites. Comme à chaque fois que la surproduction se manifeste, l’exacerbation de la concurrence en découle avec son cortège de suppressions d’emplois et de baisse du coût du travail. Conséquences qui, à leur tour, baisse plus encore le marché final et approfondit la surproduction et la venue de la récession.
La baisse du prix du baril de pétrole devrait se poursuivre. La hausse de la production est inscrite dans cette concurrence effrénée et dans la nécessité pour les pays les plus endettés de vendre leur production de pétrole pour faire rentrer des devises cependant que la demande devrait moins progresser par la mise en œuvre de politique orientées vers les énergies renouvelables.
La déflation a aussi des raisons internes à chaque pays développés. La tendance à la surproduction y est sensible. En France, la hausse de l’indice des prix à la consommation a augmenté, en novembre, de 0,1% et les prix à la production – sortie d’usine – sont orientés à la baisse. La situation est semblable dans l’ensemble des pays de la zone euro.
Là est la raison principale de la politique monétaire mise en place par les banques centrales – dont la BCE mais aussi la Banque de Chine – de baisse des taux d’intérêt (taux directeur comme taux d’escompte) et de création massive de monnaie. Elles ont bien compris qu’il fallait alimenter les marchés financiers en liquidités nouvelles pour éviter le retour des krachs et des faillites des opérateurs financiers dont les banques. Les taux d’intérêt sont proches de zéro et on parle même d’arriver à des taux négatifs…
Cette politique monétaire a eu pour effet de faire monter les cours, en 2014-2015, alors que la croissance mondiale était faible, y compris aux Etats-Unis. Ce décalage ne pouvait durer. La validation de la création monétaire se trouve dans la création de richesses nouvelles. Plus encore, la faiblesse de cette croissance devait aussi se répercuter sur les profits des entreprises. C’est le cas en ce début d’année 2016. Les cours des Bourses devraient continuer leur descente.
En résumé, croissance mondiale faible, chute des cours du pétrole et de l’ensemble des matières premières, limite de la réponse des Banques centrales forment les ingrédients de cette troisième crise financière depuis août 2007. Dans cet environnement, les politiques d’austérité viennent aggraver ces tendances à la surproduction généralisée.

Le cas particulier de la Chine
Si tous les regards sont tournés vers la Chine c’est d’abord parce qu’elle est devenue la deuxième économie mondiale. Sa croissance, pour 2015, s’affiche à moins de 7%. C’est la première fois depuis 25 ans qu’elle est aussi faible. Elle joue un rôle dans l’accentuation de la surproduction dans les matières premières. Son recul participe de la baisse importante du marché mondial.
Le gouvernement chinois, face à la grande récession de 2008-2009 qui touche prioritairement les États-Unis et se traduit par une chute des exportations, s’est trouvé dans l’obligation de transformer leur régime d’accumulation. Jusqu’en 2009, il reposait sur la baisse du coût du travail pour gagner des parts de marché à l’extérieur tout en mettant une politique d’ouverture réglementée pour les investissements étrangers qui venaient chercher l’eldorado – aujourd’hui Inde et Iran provoquent les mêmes appétits.
Les dirigeants chinois ont compris la nécessité de faire reposer leur croissance sur le marché intérieur non seulement pour répondre à la crise mondiale mais aussi pour passer du sous-développement au développement. C’est l’enjeu de la nouvelle politique. Seulement, ce passage demande du temps. Et une crise. C’est le mode de fonctionnement du capitalisme. La crise est inscrite dans ses gênes. Une crise de surproduction et de surinvestissement, une crise classique, dont la sortie déterminera l’avenir de ce nouveau modèle de développement.
Une incertitude de plus dans ce monde incertain qui déstabilise tous les marchés financiers internationalisés.
Malgré la chute prononcée de toutes les Bourses chinoises en ce début d’année 2016, les réponses n’ont été que financières. La Banque centrale a ouvert plus encore les vannes du crédit, de la création monétaire sans s’attaquer aux causes mêmes de la crise.

Les divergences de politique monétaire accentuent les risques de récession
La politique monétaire, reste, pour le moment, la seule réponse pratique dans tous les pays capitalistes développés et en Chine face à cette nouvelle secousse financière. Une exception de taille : les États-Unis. La FED, la banque de réserve fédérale américaine, sous la direction de Janet Yellen, a décidé, le 16 décembre 2015 de remonter les taux directeur et d’escompte d’un petit 0,25% faisant passer la fourchette de refinancement des banques de 0,25% au lieu de 0% à 0,50% au lieu de 0,25%. C’est, malgré tout, un tournant. La présidente de la Fed s’abrite derrière la soi-disant robustesse de l’économie américaine qui affiche 2,4% de croissance du PIB en 2015 et sur les constructions de bulles financières. En fait, elle veut se donner des capacités d’intervention en cas de retour de la crise financière…
La FED, par cette nouvelle orientation, accentue la profondeur de la crise financière. L’augmentation de ses taux d’intérêt attire les capitaux du monde entier et fait monter le dollar face à toutes les autres devises. Toutes les dettes libellés en dollars haussent brutalement transformant l’endettement en surendettement. Les crises de la dette font leur retour.
En Russie la chute du rouble et l’endettement libellé en dollars ruine les nouveaux propriétaires de leur logement qui déprimera plus encore le marché final.
La BCE, quant à elle, joue consciemment cette divergence qui affaiblit l’euro et donnerait un avantage compétitif aux firmes de la zone euro. Aucune traduction dans les faits en fonction de la faiblesse du marché mondial qui oblige même le capitalisme allemand à compter plus sur son marché intérieur que sur une hausse de son excédent de balance commerciale.

Des réponses ?
Faute de réponse en termes de politique économique à commencer par un « choc » de la demande et la rupture avec les politiques d’inspiration libérale, aucune solution à la cette crise financière n’apparaît. Les politiques monétaires ont épuisé leur capacité de réponse. Il est difficile de créer plus de monnaie. La BCE crée 60 milliards d’euros par mois sans arriver à son objectif de 2% d’inflation faute d’alimenter le circuit économique et non pas les marchés financiers. Mario Draghi a promis le jeudi 21 janvier 2016 une « intervention sans limite », sans la définir pour autant, reportant les décisions au mois de mars. Ce « ministère de la parole » ne peut rassurer les opérateurs sur les marchés financiers que pendant un temps…
La crise qui se déploie sera, sans doute, plus profonde que celle d’août 2007 ou de mai 2010. La plupart des experts autoproclamés toujours inscrits dans l’idéologie libérale ont oublié les leçons de ces deux crises financières. Aucune crise financière ne reste limitée à la finance. Elle se traduit toujours par une récession, d’autant plus profonde que les ressorts de la croissance passée sont cassés.
Il faudrait donc, pour lutter contre cette récession qui vient et pour répondre au basculement du monde, appliquer les orientations – non contraignantes – de la COP 21 en investissant massivement dans les solutions à la crise écologiques et aux mutations climatiques. Seuls les Etats pourraient être porteurs de cette transformation du régime d’accumulation. Aucun investisseur ne prendrait ce risque faute de retour sur investissement…
Nicolas Béniès. Le 25 janvier 2016.