Sauvage la danse ?
Charles Lloyd, saxophoniste ténor (et un peu flûtiste mais pas ici) fête ses 50 ans de carrière. Né le 15 mars 1938 à Memphis, il a hérité de toutes les musiques charriées par le Mississippi, le gospel, les blues, le jazz mélangées à la culture cherokee. Une mémoire puissante ravivée par l’influence visible et revendiquée de John Coltrane. Sa sonorité fait de plus en plus à celle du dernier Coltrane. Il rejoint ainsi la sonorité de l’héritier en ligne directe, Pharoah Sanders.
« Wild Man Danse » est le titre de cet album Blue Note composé d’une suite en 6 parties enregistrée en public à Wroclaw (Pologne) le 24 novembre 2013.
Disons tout de suite que ce n’est pas le meilleur album de Lloyd. Il se contente de creuser sa sonorité. Mais cet album a un énorme atout, les relativement jeunes musiciens autour de lui qui ne se contentent pas de lui donner la réplique. Ils font la démonstration qu’ils sont des musiciens de l’avenir. Une place particulière au batteur. Gerald Cleaver, un musicien de Chicago lié à l’AACM – une association pour défendre et promouvoir la musique créative fondé par le pianiste « Muhal » Richard Abrams qui a permis le renouveau, dans les années 1960 de la scène jazz dans la Cité des Vents – capable de tous les tempi, de toutes les audaces. Le pianiste Gerald Clayton ne lui cède en rien. Il réinvente tous les styles à commencer par celui de McCoy Tyner (et Keith Jarrett incontournable ces temps-ci) mâtiné de Cecil Taylor, l’influence non reconnue (par la critique) de tous ces musiciens. Le bassiste Joe Sanders sait faire pleurer sans faire rire la contrebasse jouée à l’archet, une difficulté majeure… Ces trois là s’entendent tellement bien qu’on se dit qu’ils n’ont besoin que de la notoriété du chef.
Une innovation marque aussi cette suite, l’ajout d’une lyre, le Grec – un soutien à Siriza ? – Sokratis Sinopoulos et d’un cymbalum, le Hongrois Miklos Luckas, un des maîtres de cet instrument pour donner le sel de terres fortement perturbées dans les temps qui courent. Paradoxalement, ça fonctionne. Les instruments se mêlent, sans trop discuter de leurs racines pour faire œuvre commune.
Il vous faudra entendre cet album non pas pour le leader mais pour tout le reste. Le voyage s’annonce mouvementé et plein de surprises dans les détails.
Nicolas Béniès.
« Wild Man Dance », Charles Lloyd, Blue Note (Universal)