Un policier sous les bombes.
John Lawton livre, avec « Black-out », le premier opus d’une série qui trimbalera l’inspecteur Troy, héritier d’un magnat de la presse venant de l’URSS, de la deuxième guerre mondiale à la guerre froide dans un Londres secoué par des déchirements idéologiques profonds. Les espion(ne)s, on le sait déjà – l’affaire Philby reste dans les esprits -, ne manqueront pas à l’appel.
Frederick Troy est un britannique qui a du mal à accepter son pays. Il n’oublie aucune de ses origines, parle Russe comme son père et refuse de partir à la guerre préférant exprimer sa révolte profonde contre l’ordre établi, sa colère sourde en faisant son métier de policier. Il est protégé par son chef, Onions – dont la description même vaut le détour – et séparé de ses collègues.
Malgré tout, il fait partie de cette aristocratie toujours présente dans cette île bizarre. Son langage, sa prononciation le situe directement dans cette caste sociale. Il a fait ses études dans une grande université.
Cet ensemble le met à distance de cette Grande-Bretagne en train de perdre son statut de grande puissance. Churchill est considéré comme le grand homme de ce temps. Il ne partage pas cette passion populaire. Les bombes pleuvent dans le contexte de la préparation du débarquement. Nous sommes à la veille du 6 juin et les espions se démultiplient. Troy lui cherche les assassins d’un bras. C’est le seul membre retrouvé. Il s’avère que c’est un scientifique allemand qui ne fait pas partie des exilés répertorié. La raison se trouve peut-être dans la spécialité de ce scientifique, la fabrication de la bombe nucléaire…
Troy est rempli de haine. Elle se cache derrière la chasse aux criminels. Dans cette période, ils et elles sont nombreux et viennent d’horizons sociaux très différents. John Lawton dresse ainsi le portrait d’une période à travers les contradictions de ce personnage et d’une femme, elle aussi issue de cette aristocratie décadente, Diana – un prénom choisi au hasard ? – Brack. Une beauté fatale qui hante tous les polars. Mais aussi une femme maltraitée par son père, par la société qui se lance à corps perdu dans une vengeance dont elle seule connaît les motifs.
Un mélange de descriptions du contexte historique, des personnages politiques et d’une enquête étrange. Il suit à la trace un membre des services secrets américains – OSS puis CIA – pour le faire payer. Est-ce vraiment un criminel ? Troy est-il jaloux ? Un tueur ? Les motivations restent secrètes. Par contre, après la guerre, dans un Berlin partagé entre les puissances occupantes et détruit, les espions se dévoileront. Un nouveau portrait de femme, Tasca, entre USA et URSS, comme la personnification de la guerre froide qui vient.
John Lawton n’oublie pas qu’il est Anglais. Son texte est truffé de références littéraires et musicales. On regrettera juste qu’il n’évoque pas Stéphane Grappelli, exilé involontaire dans la capitale britannique mais seulement George Shearing. Le pianiste aveugle fait pourtant partie du groupe que dirige Stéphane…
Au total, un vrai polar avec ce qu’il faut de noir, de rouge et de blancs, d’histoire, de mémoire et de distance pour construire une intrigue suffisamment tordue qui permet au lecteur d’avoir envie de poursuivre la route avec ce policier au comportement pour le moins mystérieux.
Nicolas Béniès.
« Black-out », John Lawton, traduit par Anne-Marie Carrière, 10/18, collection Grands Détectives