Signes de reprise ou de récession ?

Le monde n’en finit pas de danser sur un volcan.

Hollande et Valls continuent de se gargariser avec « l’esprit du 11 janvier » sans s’apercevoir que la crise systémique du capitalisme ouverte en août 2007 continue de se développer avec son cortège de chômage de masse, de pauvreté et de misère. Les inégalités s’approfondissent. Elles mettent en cause directement la possibilité même de la démocratie. Au Luxembourg ; début mars 2015, le président de la République en a même remis une couche en considérant que la reprise était là. Mais il n’a dit où…

La déflation s’élargit.
Les pays capitalistes développés – auxquels il faut associer la Chine même si elle n’est encore qu’une économie émergente – sont proches d’un point de rupture. L’indicateur, très largement sous estimé, est la baisse des prix soit la déflation. Elle est présente dans la zone euro globalement. Il est peu de pays qui y échappe. L’économie française, d’après l’INSEE, a enregistré une baisse de l’indice du niveau général des prix de –0,4%. Les États-Unis, à leur tour, ont enregistré une chute des prix de 0,1% en un an en 2014 – -0,7% en janvier 2015 par rapport à décembre 2014 – et le Japon est proche, lui, de renouer avec la déflation qui l’a frappée depuis 1993. La Chine, à son tour est en train de réunir les conditions d’un éclatement de la bulle financière du crédit et de connaître la baisse des prix.
Cette baisse n’est en rien le résultat de la lutte contre l’inflation. La plupart des économistes officiels parlent d’une « inflation négative »1 pour masquer, volontairement ou involontairement, la profondeur du phénomène. La déflation résulte de la surproduction qui se traduira par une récession plus ou moins profonde.

La baisse actuelle des cours du pétrole est révélatrice de cette tendance. Si les cours sont orientés à la baisse – comme pour la plupart des matières premières agricoles à l’exception du cacao qui conduit plutôt une stagnation de la production alors que la demande augmente – c’est que la production est plus élevée que la demande solvable. L’Arabie Saoudite a décidé, en supprimant les quotas imposés par l’OPEP2, de faire la guerre au pétrole et gaz de schiste pour ruiner un futur concurrent.
Cette baisse est un drame pour tous les pays qui tablaient sur « l’or noir » pour financer leurs infrastructures ou leur place internationale comme le Venezuela. La crise profonde qui touche la Russie provient directement de cette baisse qui sape toute possibilité de croissance. Ce pays est désormais en récession, le rouble flotte sur les marchés financiers internationaux. La baise des prix du pétrole n’est donc pas, contrairement à une antienne, une bonne nouvelle. Elle est plutôt prémices d’une récession qui ne tardera pas à se manifester.

La baisse de l’euro, positif pour l’économie de la zone euro ?
La baisse de l’euro, de son côté, a des conséquences négatives pour les monnaies arrimées – le « peg » suivant le terme utilisé par les marchés financiers – à la monnaie unique. Le franc suisse a décroché faute d’avoir les devises nécessaires pour suivre la baisse rapide de l’euro passé de 1,30 dollar à 1,15. Le flottement du franc suisse s’est traduit par sa hausse rapide et par l’augmentation tout aussi brutale des taux d’intérêts des « emprunts structurés » indexés sur ce franc suisse. Ces titres toxiques touchent quelques 250 collectivités territoriales et bon nombre d’hôpitaux publics qui avaient souscrit ce type d’emprunt sans compter les ménages. La quasi-faillite menace sans que le gouvernement ne songe à faire une loi pour imposer aux banques responsables de ces montages – particulièrement Dexia en faillite et quasi nationalisée – d’annuler ce type d’emprunts structurés. D’autant que les activités de l’ancien CLF – Crédit Local de France – que Dexia avait racheté, sont gérées par la Caisse des Dépôts et la Banque Postale…
La baisse de l’euro ne reflète que la force nouvelle du dollar, liée aux espoirs de la reprise économique aux Etats-Unis. La croissance a été surestimée.3 La récession de 2008-2009 a été plus profonde aux États-Unis que dans les pays européens. Il était logique que la reprise y soit plus importante. La théorie des cycles enseigne que plus une récession est profonde, plus la reprise est forte. Malgré des chiffres plus élevés que ceux de la zone euro ou du Japon, la croissance n’a été que de 2,2% pour 2014. La FED – la Banque de réserve fédérale américaine – parle même d’une « croissance modérée ». Contrairement aux déclarations hâtives de Barak Obama dans son « discours sur l’état de l’Union » en janvier, la crise est loin d’être finie. Cette hausse du dollar n’est pas sans poser de problème à l’industrie américaine qui voit ses exportations renchérir. Des voix commencent à se faire entendre pour faire baisser le cours du dollar. Cette hausse provoque aussi des effets induits par l’existence d’un « peg » entre le dollar et certains monnaies des pays latino-américains. Ce peut-être, comme en 1984 pour le Mexique ou en 1998, l’amorce d’une crise dite de la dette pour ces pays. A commencer par l’Argentine et le Brésil, pays dans lesquels la corruption fait des ravages politiques.
Conjoncturellement, les capitaux s’orientent vers les Etats-Unis pour deux raisons essentielles. La confiance dans l’économie américaine et la différence des taux d’intérêt qui sont désormais plus élevés aux États-Unis que dans les pays de l’Europe du Sud, résultat d’une divergence accentuée entre les politiques monétaires de la FED et de la BCE qui inversent leur rôle.

Le nouveau credo de la BCE
Mario Draghi, le président de la BCE, a compris le risque que représente la déflation. Il a donc amorcé un tournant dans la politique monétaire. La priorité n’est plus la lutte contre l’inflation mais, au contraire, la création monétaire pour tenter de réduire la déflation. Il a pris la décision de créer 60 milliards d’euros par mois jusqu’à concurrence de 1140 milliards d’euros pour racheter principalement des titres de dettes publiques – souveraines – mais aussi, si nécessaire, de la dette privée. Obligé à un compromis avec le gouvernement allemand, Draghi a concédé que 80% de cette création monétaire sera aux mains des banques centrales nationales pour racheter des titres de leur propre pays. La Grèce n’est a priori pas concernée, la BCE possédant déjà une grande partie des obligations de la dette souveraine passée.
Le résultat de ce Q/E, Quantitative Easing, de cette création monétaire liée à la baisse des taux de l’intérêt – le taux directeur de la BCE atteint 0,15% du jamais vu – permet d’alimenter les institutions financières en liquidités. La BCE a aussi mis en place un taux d’intérêt négatif pour les banques qui voudraient placer ces liquidités auprès de la Banque Centrale. Une mesure qui voudrait orienter les banques vers les prêts aux agents économiques, ménages mais surtout entreprises.
Les entreprises sont plutôt engagées dans un processus de désendettement et n’ont pas d’appétence pour le crédit. Les ménages qui ont vu leur pouvoir d’achat baisser, le chômage augmenter4 s’orientent, quand ils le peuvent, vers l’épargne via l’assurance-vie plus que le livret A.
Cette création monétaire ne favorisera pas la croissance. Pour ce faire, il aurait fallu, à l’instar de la FED, que la BCE finance les besoins de financement des Etats de la zone euro. Cette énorme création monétaire restera, pour l’essentiel, confinée à la sphère financière. Ces liquidités excédentaires expliquent la baisse des taux d’intérêt. Mieux actuellement les gouvernements allemands et français « bénéficient » pour leurs emprunts de taux d’intérêt négatifs. Les banques paient pour placer leurs liquidités dans les titres de la dette souveraine… On croit rêver ! Pas tout à fait. Une manière, pour ces institutions financières, d’augmenter leurs fonds propres et d’améliorer leur ratio de prudence.

Atmosphère de fin de règne
Cette manne monétaire explique aussi la hausse des Bourses. En dépit de la déflation qui sévit, la spéculation à la hausse des titres est toujours aussi forte, favorisée par le versement de dividendes importants des groupes du CAC40. Cette dichotomie n’aura qu’un temps. Là se trouve aussi la cause de la multiplication de start-up prenant peu ou prou la place des banques. Le résultat est, pour l’instant juteux. C’est pourtant l’indication d’un trop plein qui laisse penser que la crise financière n’est pas loin.
Ce contexte instable dans lequel les risques de crise financière et économique sont présents. Risques renforcés par les politiques d’austérité suivies par tous les gouvernements de l’Union Européenne – sauf la Grèce si les pays de la zone euro et la BCE laissent le gouvernement Tsipras faire la politique pour laquelle il a été élu. La loi Macron, par exemple, n’est qu’un ramassis de vieilles recettes éculées du libéralisme. La flexibilisation du marché du travail – en termes clairs, la remise en cause du droit du travail – n’a jamais servi ni la croissance ni la capacité des entreprises à créer des emplois ou à investir. La baisse du coût du travail ne permet pas de poser la question des industries nouvelles nécessaire pour résoudre crise écologique et mutations climatiques. Elle permet juste d’augmenter, à court terme, le profit, une exigence portée par les capitalistes financiers. L’insistance de la compétitivité des entreprises de chaque nation de l’UE est un facteur d’éclatement. La croissance de l’économie allemande de 1,6%, plus importante que celle de l’économie française de 0,4% en 2014, s’est réalisée au détriment des autres économies de l’UE. La politique du gouvernement allemand est non coopérative et provoque, dans le même temps, la montée de la précarité et de la pauvreté. L’explosion et l’implosion de l’UE via la crise de l’euro qui menace de nouveau est possible, probable. Sauf si, comme le propose la plupart des économistes5, l’Europe construit des politiques communes. La question de l’avenir de l’Europe, comme l’indique l’exemple grec, se joue sur le terrain politique et non pas sur l’économie. La première mesure serait de réduire les inégalités. Les écarts de fortune jamais vus depuis la fin de la seconde guerre mondiale rongent la possibilité même de la démocratie.
Il faut le rappeler une fois encore, la crise systémique oblige le capitalisme à se révolutionner s’il veut survivre. Elle pose, cette crise, de par son ampleur et sa profondeur, la possibilité de sortir du capitalisme à condition que les populations le décident…
Nicolas Béniès.
(article publié dans la revue de l’École Émancipée de mars/avril 2015)