Portrait de femme.
Henning Mankell fait partie des créateurs contemporains de romans noirs. Sa figure d’enquêteur, Wallander, est connu de tous les aficionados du genre. Wallander a vieilli, comme nous. Il est à la retraite. A priori, il n’enquêtera plus. Mais…
Mankell est aussi directeur d’une compagnie théâtrale qui tourne sur le continent africain. C’est l’autre face de cet auteur, romancier de cette Afrique qu’il aime. Wallander décode la société suédoise en insistant là où ça fait mal, mettant à mal l’imagerie de ce modèle suédois qui connaît aussi un accroissement des inégalités, la corruption, Mankell dénonce le poids du néo colonialisme – que l’on connaît bien en France – pour valoriser les cultures de ces pays. Particulièrement le Mozambique.
« Un paradis trompeur » retrace l’itinéraire hasardeux d’une jeune femme de 18 ans qui s’embarque, avec son mari, en direction de l’Australie, en avril 1904. La mort en mer de son conjoint la pousse à s’arrêter au Mozambique, cette colonie portugaise, à épouser un autre homme et hériter d’un bordel. Mankell décrit cette société hiérarchisée, raciste et sexiste où n’existent que les Blancs pour la loi, où la femme noire est « la mule de l’homme noir », pour citer Zora Neale Hurston – qui écrit sur les États-Unis. Elle ajoutait, en anthropologue avertie, que tout ce que l’homme blanc fait subir à l’homme noir, l’homme noir le fait subir à la femme noire. Presque tout est dit.
Hanna, c’est son nom, tombera une fois encore amoureuse, du frère de l’une de ses pensionnaires, Noir. Un amour impossible.
Qu’est-elle devenue ? Où est-elle partie ? La fin est aussi énigmatique que le début.
De 1904 à aujourd’hui, presque tout a changé. Il reste ces traces indélébiles du passé. Mankell a peur d’Alzheimer. Il lutte pour conserver la mémoire. Une manière de construire un avenir différent de ce passé…
A travers ce beau portrait de femme qui se bat pour sa dignité, pour ses amours, pour ses amitiés, qui a pour compagnon fidèle un singe, c’est tout un tissu de résistance qui s’entrevoit. Les femmes sont obligées de résister pour vivre, les hommes ressemblent à des pantins conduits uniquement par le sexe ou des intérêts matériels à courte vue.
Nicolas Béniès.
« Un paradis trompeur », Henning Mankell, traduit par Rémi Cassaigne, Seuil, 375 p.
Un roman politique.
John le Carré fut un espion et a raconté ses expériences un brin romancées jusqu’à la chute du Mur de Berlin. Ce 9 novembre 1989 marquait la fin d’une architecture du monde, celle de la « guerre froide » suivie par la « coexistence pacifique ». Ce changement de terme ne changeait pas la donne. Le monde se divisait politiquement en deux, les Etats-Unis d’un côté, l’URSS de l’autre. Comme le résumait dans ses œuvres de science fiction sans robots, « Eux » et « Nous ».
Pour John le Carré, la nécessité se faisait sentir de tenir compte du changement d’architecture. Le monde était désormais divisé économiquement en trois, Etats-Unis, Japon, Allemagne et les intérêts à défendre se situaient désormais sur le terrain des marchés et non plus de la défense du monde dit libre.
Après quelques hésitations, ses romans sont devenus politiques. Le dernier en date, « Une vérité si délicate » est un acte d’accusation de la politique du New Labour et de Tony Blair en particulier. L’enquête part du rocher de Gibraltar, colonie britannique, en 2008 pour se terminer en 2011. La vérité n’est pas bonne à dire. Les diplomates sont tenus au secret. Surtout sur ces officines privées qui prennent en main les tâches de la défense nationale. Blair a été au-delà de Thatcher en privatisant l’armée, suivant l’exemple étatsunien de George W. Bush. Les conséquences sont catastrophiques. Elles se traduisent par le recul du politique, remplacé par des dogmes religieux quelques fois bien éloignés de la religion elle-même. Ces dogmes cachent les intérêts matériels de cliques, de gangs qui prolifèrent dans un monde où les valeurs collectives ont disparu.
Qui défend quoi et qui ? L’honnêteté est pourchassé. Surtout se taire. La loi du silence, l’omerta. Sinon c’est la mise à mort. En écho à John le Carré, beaucoup d’affaires – de faux suicides, de vrais meurtres – qui ont défrayé la chronique en Grande-Bretagne.
On se demande à chaque page si l’auteur invente ou simplement rempli les vides de l’information…
Une manière de voir le monde.
Nicolas Béniès.
« Une vérité si délicate », John le Carré, traduit par Isabelle Perrin, Seuil, 329 p.