Le coin des polars de l’année scolaire passée.
Les vacances sont nécessaires. Aussi pour se pencher sur son passé…proche et s’apercevoir que des livres avaient fait l’objet d’un ostracisme inconsidéré pour beaucoup, d’une mise à l’écart justifiée pour d’autres.
Un polar politique.
« L’honorable société » a eu besoin de deux auteurs et non des moindres lorsqu’on considère le polar politique et social, Dominique Manotti et DOA, pour construire cette intrigue plus vraie que nature. Dans le cadre d’une fin de campagne électorale présidentielle – le premier tour a donné largement vainqueur le candidat de droite – un groupe d’activistes, jeunes, veulent réaliser un grand coup médiatique. Ils et elle s’introduisent dans l’ordinateur d’un responsable de l’industrie nucléaire – du CEA – et filme en direct son assassinat. S’ensuit une cavale qui met à jour tous les ressorts d’un appareil d’Etat au service des puissants, de ceux qui gagnent. Chacun(e) ne pense qu’à sa carrière, qu’à ses intérêts. Les liens entre pouvoir politique et haute industrie – il manque la finance – sont bien mis en évidence. Les services de renseignements – les ex RG aujourd’hui DRCI – travaillent pour le candidat de droite, assurant les basses œuvres qui vont jusqu’au meurtre de jeunes gens sans défense. Le candidat de gauche est pusillanime n’osant rien. La description du débat télévisé semble être une sorte de stéréotype. C’est à pleurer. Le rôle des médias est aussi dénoncé.
Il ne manque presque rien pour faire de ce roman une sorte de bilan du quinquennat de Nicolas Sarkozy marqué par une pléiade d’affaires. Les auteurs sont bien en dessous de la réalité.
Un vrai polar. Avec frissons assurés. Les journalistes britanniques sont aussi de la partie. Ce sont eux qui mettent l’affaire – ici de la filière nucléaire – sur le devant de la scène. Logiquement, dit le père d’une des activistes – ce terme convient mieux que militante, ces jeunes gens ne font guère d’analyse politique -, ces révélations devraient déclencher une profonde crise politique. Il se fait – nous le savons pertinemment – des illusions. Un sondage qui prétend que les électeurs n’aiment pas les fraudes mais les fraudeurs vient, peut-être, comme une clé de compréhension de cette société française décidément gangrénée par le libéralisme.
Les relations père/fille ne sont pas oubliées. Bref un roman « total », à tiroirs aussi. Les noms des personnages font référence à un spécialiste du polar, à la guerre de Troie et tout à l’avenant. Le responsable de la brigade criminelle connaît des problèmes de couple… Comme tout le monde.
Une grande réussite. Vous ne regarderez plus la société française comme avant.
Nicolas Béniès.
« L’honorable société », Manotti/DOA, Folio Policier.
Le polar speedé.
« Chamamé » est un titre qui retient l’attention. Pour tous les amateur(e)s des musiques de l’Argentine le mot fait référence à des chansons et danses de la région de Corrientes. L’auteur, Leonardo Oyola, ajoute que ce terme signifie en guarani « agir sans réfléchir »…une définition du comportement des deux personnages, Perro et le Pasteur qui tuent aussi rapidement que d’autres parlent.
Comment raconter cette odyssée ? Elle tient entièrement dans le style. Speedé. Drogué. Sous amphétamines. Un peu trop à la mode. Trop dans le tempo de ces groupes de métal dont l’auteur est un spécialiste. Peu de respiration. Les personnages sont en carton pâte sans profondeur.
Le plaisir est d’abord au rendez-vous. Pour une sorte de poème de la liberté. Mais la répétition est lassante… N’est pas James Ellroy – celui du quatuor de Los Angeles et ce chef d’œuvre qu’est « Le Dahlia Noir », premier de la série – qui veut. Il a fondé un style un peu trop imité par les temps qui courent. Mais les territoires – ceux du Littoral – de l’Argentine font la différence d’avec Los Angeles.
Nicolas Béniès.
« Chamamé », Leonardo Oyola, traduit par Olivier Hamilton, Points/Roman noir.
Le polar historique.
« L’enquête russe » est une nouvelle enquête du désormais quarantenaire Nicolas Le Floch devenu marquis sous Louis XV et continue de servir avec beaucoup d’états d’âme devant la misère du peuple Louis XVI et Marie-Antoinette. Jean-François Parot comme à l’accoutumée nous fait visiter à la fois les fastes de la Cour et la réalité des conditions de vie de la population. Nous sommes en 1782 et les révoltes grondent. C’est ce moment que choisit Catherine II pour fomenter un complot qui vise à la fois son ancien favori – le Comte Rovski, assassiné – et son fils le tsarévitch Paul venu incognito à Paris. Les espionnes sont belles, les intrigues diverses, les fils sont tissés par l’inénarrable Sartine qui fait agir Nicolas pour des raisons qui ne sont pas celles énoncées.
Une manière de faire connaissance avec la diplomatie, les services secrets – en fait l’espionnage – et la France et la Russie de ces années de basculement révolutionnaire.
Bien écrit et bien conçu. On apprend tout en se divertissant.
Nicolas Béniès.
« L’enquête russe », Jean-François Parot, 10/18.
Le polar historique (2), anglais celui-là.
Une nouvelle venue dans les « Grands Détective », Lizzie Martin, dame de compagnie pour survivre. Par la chose des choses elle deviendra enquêtrice. Pour comprendre pourquoi une jeune fille de 22 ans a été assassinée. Une histoire comme les séries britanniques les affectionnee dans cette Grande-Bretagne de 1864 où règne la morale victorienne. La description du Londres de ces années vaut à lui seul la lecture. Ann Granger est un guide expérimenté. Rien ne lui échappe. Elle sait aussi, d’un échange, fixer les caractères de ces familles riches.
« Un intérêt particulier pour les morts » vaut surtout par cette ville en train de se transformer, livrée à la spéculation immobilière. L’intrigue est, ici – mais on attend la suite – réduite au minimum. Il fallait bien présenter les personnages.
Nicolas Béniès.
« Un intérêt particulier pour les morts », Ann Granger traduit par Delphine Rivet, 10/18.
Un roman policier…des romans policiers.
Boris Akounine, un nom qui a ses lettres de noblesse dans la littérature russe. Un géorgien au nom imprononçable tellement qu’il, dans cette collection de poche, même pas cité. Il faut dire que le pseudonyme se suffit à lui-même. On connaît le personnage central de ses romans, Fandorine. Il peut changer d’époque sans changer de nom, juste de prénom.
Dans ce recueil de nouvelles, l’auteur joue avec les références. Fandorine est Sherlock Holmes avec un pouvoir de déduction sans faille, même s’il se déplace au Japon pour « Le chapelet de jade ». Mais la nouvelle la plus importante en taille comme sur le fond est celle qui se déroule aux alentours de Cheyenne, dans une communauté de Russes qui veulent réaliser le paradis, « Utopia », sans circulation d’argent, sans mariage. Ils sont menacés et Fandorine enquête dans ce far west revu par les « Westerns », des films qui ont construit une image de la conquête de l’Ouest sans rapport avec la réalité historique.
Boris Akounine, qui dédie cette nouvelle à Washington Irving – l’auteur de la « Légende de Sleepy Hollow », 1783-1859, premier romancier américain à être reconnu en Europe – s’en inspire tout en forçant légèrement le trait. Une distance dans l’hommage qui rend visible les emprunts comme la réalité du talent de romancier de Akounine.
Il faut lire Akounine. Entrez dans ce monde, c’est faire connaissance avec notre héritage et le sien.
Nicolas Béniès.
« Le chapelet de Jade », Boris Akounine, traduit par Odette Chevalot, Points/Policier.
On peut éviter.
Noah Hawley, dans « Le bon père » veut traiter des rapports père/fils dans le cadre d’une famille recomposée. Le Dr Paul Allen est rhumatologue, remarié, père de jumeaux. Son fils aîné Daniel est, pour lui, un inconnu. Lorsqu’il apprend qu’il est accusé d’avoir assassiné le candidat démocrate à la Maison Blanche – qui avait toute chance de l’emporter – le père ne veut pas le croire. Il enquêtera pour faire la démonstration de l’innocence de son fils que tout accuse. Il découvrira que le candidat soi-disant Monsieur Propre ne l’était pas tant que ça. Qu’il a profondément déçu le jeune homme que tout accuse. Il ne se défend même pas. Le père en même temps cherche à comprendre. Il joue avec ses souvenirs, essaie de situer le moment où son fil saurait pu basculer.
Cette recherche aurait pu être intéressante si elle n’avait un air de déjà lu. Beaucoup de séries ont traité ce thème qui apparaît éculé. Aucune surprise ne vient relancer l’intérêt de cette enquête, aucun retournement. Le jeune homme est coupable, cette évidence submerge. Les causes de cet assassinat ne sont pas convaincantes.
Nicolas Béniès.
« Le bon père », Noah Hawley, traduit par Clément Baude, Série Noire/Gallimard.
Un petit Westlake.
Rivages a décidé de republier et de publier tout Donald Westlake. C’est une œuvre de salubrité publique qu’il faut saluer. Il reste que toute la production de cet auteur n’est pas de même niveau. Pour cet « Argent sale », Richard Stark – c’est le pseudo de Westlake pour les aventures de Parker – l’intrigue est intelligente mais le déroulé un peu laborieux. Trop de personnages, trop de rebondissements qui sentent bon le gimmick, le procédé.
Il reste qu’un petit Westlake tient sa place dans le panthéon des polars ironiques.
Nicolas Béniès.
« Argent sale », Richard Stark, traduit par Elie Robert-Nicoud, Rivages/Thriller.