Quand les cultures se heurtent

Rencontres étranges, polar, vaudou et… Miami.

Nick Stone tient à la fois de son père, historien, et de sa mère, descendante d’une des plus anciennes familles d’Haïti. Dans ce mouvement d’appropriation de traditions pour les rendre vivantes, pour les faire siennes, Miami, la ville de Floride, tient un rôle central. Ville de corruption, de réfugiés cubains et haïtiens, à quelques 150 kilomètres de Cuba, est un centre du trafic de drogues. Le dollar corrompt tout et absolument. Une ville qui se trouve aussi dans « Ils vivent la nuit » de Dennis Lehane.

L’enquêteur récurrent de ses trois romans – Tonton clarinetteVaudou Land et Cuba libre qui vient de paraître -, Max Mingus – hommage à Charles Mingus, contrebassiste et compositeur d’une musique classée dans le jazz mais qui est fondamentalement mingusienne – est un curieux policier à la fois corrompu et doté d’un sens moral spécifique. Il est tenu en laisse par le chef de la police, Eldon Burns qui possède des dossiers sur tout le monde et a une passion secrète pour la boxe. Il sert de père putatif à Max.

Joe Liston – visiblement la boxe a beaucoup influencé l’auteur -, le pendant moral du chef de la police, l’ami qui pose les limites à ne pas franchir, sorte de ligne rouge entre un Bien et un Mal que la morale habituelle réprouve. Joe fait partie de la communauté noire tandis que les deux autres sont Blancs, de type caucasien comme disent les rapports de police. Aux États-Unis, il faut le rappeler, ça compte.

Tonton clarinette, un des personnages du vaudou (voir ma chronique sur le vaudoiu dans la rubrique des disques de jazz) , voyait Max Mingus et Joe Liston aux prises avec toutes les croyances et mystifications de cette religion étrange, mélange et synthèse de toutes les cultures des nations africaines déportées sur le sol américain, résultat du processus d’acculturation. Leur enquête les mène au sein de la communauté haïtienne de Miami dans les années 1980. Un autre personnage récurrent apparaît – le terme n’est pas exact, il flotte serait plus exact comme un autre soi-même, décalque de Mingus – Salomon Boukman sorte d’incarnation du Baron Samedi. Le « vévé » vaudou fait partie de toutes ces manipulations.

Le troisième et dernier opus se situe en 2008, au moment de l’élection d’Obama, au moment où les États-Unis pouvaient se croire à l’orée d’une nouvelle naïveté, dans la croyance au retour du rêve américain via l’élection du premier président Noir de l’histoire des États-Unis, sorte de prolongement de toutes les luttes pour les droits civiques des années 1960. Cuba libre fait le point sur toutes ces années, sur tous ces combats. Cuba permet cette synthèse. Sur son sol se retrouvent les anciens des « Black Panthers », un peu décrépits, souffrant du mal du pays comme beaucoup d’autres victimes des répressions. Il en est qui s’en sorte mieux que les autres…par la rapine. Ne pas faire confiance à ses compatriotes est une grande leçon que beaucoup de politiques de gauche devraient méditer. L’union nationale se fait toujours au détriment de la classe sociale qui a le moins de pouvoir…

Nick Stone met en scène une grande figure – fusion de Angela Davis, un film récent lui rend aussi hommage, et d’autres combattantes de ces Villes américaines pour faire triompher le droit, quelque chose aussi de ces militantes décidées à construire des lieux de solidarité pour redonner de la fierté aux jeunes des ghettos, leur redonner aussi leur héritage pour les sortir de la drogue – qu’il appelle Vanetta Brown. On aurait envie de la connaître.

Novembre 2008, c’est une fin pour Max Mingus. Eldon Burns et Joe Liston sont assassinés. Pourquoi ?

Il est devenu détective privé après avoir fait de la prison et ses enquêtes ont une drôle de couleur et un drôle de goût. Sa vie part en sucette. Quelqu’un tire les ficelles. Dans quel but ?

Ses recherches le conduisent à Cuba – où le vaudou mais aussi les gangs prospèrent -, île de toutes les espérances qui fait penser au mot de Kafka, « le monde déborde d’espérance mais pas pour nous ». Les paysages enchanteurs, la vie quotidienne, les petits arrangements avec Castro et tout le reste. Une truculence bienvenue qui démontre que Nick Stone est aussi écrivain, qu’il a lu les classiques. Le rire n’est jamais loin de la tragédie la plus pure. Il faut découvrir la figure de la policière, Rosa Cruz…même si ce n’est pas son nom. Elle porte quand même sa croix…

Comme souvent, c’est aussi un parcours initiatique. La recherche de soi-même à travers les parcours de ses proches, de ses amis, de ses parents. La désagrégation vise toutes les relations. N’y résistent que quelques personnalités hors du commun. Le – petit – message d’espoir se trouve dans leur existence.

Il faut lire cette trilogie dans l’ordre. Lui seul permet de comprendre le projet de l’auteur et toutes les fausses explications entassées dans les deux livres précédents. Les fausses portes de sortie, les évidences qui n’en sont pas, tous ces jeux de miroir qui ont perdu le lecteur en faisant semblant de trouver une solution. Du grand art. On plonge dans ce monde pour en revenir changé.

Nicolas Béniès.

Livres sous revue

Tonton clarinette, Série Noire et Folio Policier n° 579, traduit par Marie Ploux et Catherine Cheval

Voodoo Land, Série Noire et Folio Policier, n° 683, traduit par Samuel Todd

Cuba libre, Série Noire, 2013, Traduit par Samuel Todd

de Nick Stone.

Bibliographie supplémentaire pour comprendre le références,

Sur la question noire de C.L.R. James, des textes écrits entre 1935 et 1967, Syllepse, des écrits qui essaient de poser quelques concepts et une méthode pour appréhender la la question blanche. Certains ont vieilli mais les tentatives de James permettent d’appréhender les contextes. Il faut faire attention à la date…

Black and Red, les mouvements noirs et la gauche américaine, 1850-2010 », Ahmed Shawki, Syllepse, 2013. Les deux livres sont complémentaires.

Article publié dans la revue de l’École Émancipée d’avril 2013