Le coin du polar.

 

Une (re)lecture réjouissante.

Tous et toutes les amateur(e)s de polar connaissent Dashiell Hammett (1894 – 1961), les autres ont sûrement vus « Le faucon maltais », de John Huston, dans lequel Humphrey Bogart donne un visage – en forme de « v », c’est de cette façon que le décrit allusivement Hammett – à Sam Spade, un nom étrange pour un détective privé qui ne l’est pas moins. Dashiell – ce nom lui vient de sa mère et de ses ancêtres français, son premier prénom fut… Sam – a une place de premier plan dans la littérature américaine et mondiale. Il a créé un genre, dans les années 1920-30, le polar « hard-boiled », « dur à cuire » pour des intrigues qui refusent toute solution provenant de la seule logique. Refus d’un roman policier type Agatha Christie et de son détective belge, Hercule Poirot qui pense pouvoir résoudre tous les meurtres « en chambre » armé de « ses petites cellules grises ». La littérature descend dans la rue, elle se heurte à toutes les réalités des forces sociales en présence, des intérêts politiques, économiques et au pouvoir.

Un littérature qui part de la corruption qui touche d’abord les forces de police et qui s’appuie sur la nouvelle réalité ambiante, celle de la grande ville à commencer par Chicago. Le polar et la sociologie ont toujours fait bon ménage. Il est notable que l’Ecole de Chicago – une branche nouvelle de la sociologie dans ces années 1920 influencée par la méthode journalistique – est contemporaine de la naissance de ce type de littérature. La corruption, les gangs, le trafic d’alcool puis de drogue y est posée comme moyen de s’intégrer dans une société qui refuse tous les émigrants qui ne répondent aux critères du « WASP », Blanc, anglo saxon, protestant.

Le polar, le roman noir traite aussi des grands thèmes de la littérature, le pouvoir, la manipulation, la communication, l’amour, l’amitié… tout en maniant la référence à la chevalerie, le culte de l’amitié, une certaine dose de respect des valeurs dans un monde qui n’en connaît aucune. Sam Spade en fera une règle qui le conduira à faire arrêter celle qu’il aime…

Dans « La clé de verre » qui vient d’être édité en Folio/policier, Ned Beaumont est une sorte de préfiguration de Sam Spade. Il a un code de l’honneur et n’en déroge pas. Dashiell fera usage aussi de ce code, lui l’ancien détective de chez Pinkerton – agence spécialisée dans la répression contre les grévistes -, en refusant, au moment du maccarthysme – dans cette fin des années quarante, milieu des années cinquante aux États-Unis, dite période de « chasse aux sorcières » – de dénoncer des membres du parti Communiste Américain.

Dans ce roman, la Ville – anonyme mais comment ne pas penser à Chicago ? – est aux mains d’un politicien local Paul Madvig qui sera accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis. Et « les chiens sont lâchés », tous ceux qui lui sont redevables le laissent tomber les uns après les autres… C’est un thème éternel.

Cette nouvelle traduction de Nathalie Beunat et Pierre Bondil – dont nous avons déjà parlé à propos de l’intégrale des romans de Hammett publiés dans la collection Quarto/Gallimard – rend à Hammett son style fluide dénué de toute vulgarité ou grossièreté. L’impression de lire la même histoire que celle traduite dans la Série Noire de Marcel Duhamel tout en comprenant mieux le déroulement de cette aventure. Marcel Duhamel tenait compte du contexte de l’après seconde guerre mondiale, de la vogue de ces romans pastiches signés Peter Cheney – un Britannique – pour adapter les polars qu’il traduisait ou faisait traduire. Dashiell a subi un traitement chimique qui ne rendait pas justice à son style qui se situe dans la lignée d’un Scott Fitzgerald ou d’Ernest Hemingway ou, mieux encore Dos Passos.

Là c’est une « inquiétante familiarité », une découverte superbe. Et je ne me lasse pas de lire et relire Hammett. Sans conteste un grand écrivain du 20e siècle.

Nicolas Béniès.

« La clé de verre », Dashiell Hammett, Folio/policier.