Des nouvelles de Prévert.
Le film, « Les enfants du paradis », est un grand classique du cinéma français et mondial. Il a été élaboré et tourné pendant la guerre par Jacques Prévert et Marcel Carné en compagnie de Alexandre Trauner qui a dessiné les décors en trompe d’œil et de Joseph Kosma pour la musique. Ces deux derniers sont Juifs et dans cette époque troublée, même dans la zone sud, il fallait prévoir les fuites.
Le scénario original de Prévert était inédit. Sa petite fille en fera don à la cinémathèque française en 2010 et il vient d’être publié par Arte éditions/Gallimard. Un vrai cadeau. Pour plusieurs raisons. L’introduction de Carole Aurouet situe le travail effectué par l’équipe. S’explique ainsi le « décalage » entre le scénario et le film. Les dialogues évoluent, Prévert aimant ce « work in progress » pour s’introduire dans les images que suscitent en lui musique et décors. Les noms des personnages aussi. Lacenaire, dans le scénario, se nomme « Mécenaire », nom d’emprunt qui libère sans doute l’imagination de Prévert qui avait de l’admiration pour ce poète/assassin qui sera condamné à mort et écrira, en prison, des poèmes et ses Mémoires. Herrand lui donne une présence étonnante dans le film.
La même Carole Aurouet présente un cahier hors texte superbe et révélateur de la méthode de travail de Prévert. La double page où il inscrit, sous formes de flèches, ses principaux personnages, qu’il dessine pour dresser une sorte de carte du film à venir. Il le visualise. Il changera, c’est logique. Il est des mots que les acteurs/actrices ne peuvent pas dire. Il fait déjà dire à Arletty « C’est tellement simple l’amour »… Pour des raisons indéterminées, ils changeront la fin. Baptiste tue, dans le scénario, le marchand d’habits – comme Deburau qui avait tué d’un coup de cane un individu, fait qui avait marqué Jean-Louis Barrault qui racontait que la foule se pressait à son procès pour entendre sa voix -, alors que dans le film il est séparé de Garance (Arletty) par la foule et crie « Laissez moi » tandis que le marchand d’habit et délateur lui murmure qu’il a une femme et des enfants.
Un appel pour revoir une fois encore « Les enfants du paradis », hommage, faut-il le rappeler ?, à tous les amoureux des spectacles vivants, fins connaisseurs qui habitent au dernier étage de ces théâtres – ou des futurs « music hall » -, dans des travées, debout, serrés, acclamant ou sifflant, commentant l’action pour décider de l’avenir de la pièce, de la pantomime. Ce sont eux et elles les juges de paix.
Baptiste aura un avenir. Jean-Louis Barrault, en 1946, lui fera connaître d’autres aventures. Le mime Barrault aurait pu faire carrière…
Mais ceci, comme on dit d’habitude, est une autre histoire…
Nicolas Béniès.
« Les enfants du paradis. Le scénario original », Jacques Prévert, Arte éditions/Gallimard.