Les festivals de jazz aiment l’été.
Je ne sais pas pourquoi, personne n’a eu encore l’idée – que je lance comme un pavé dans une mare trop lisse, pour faire des ronds dans l’eau – de réaliser un tour de France en 80 festivals de jazz pour aboutir à une mise en perspective à la fois du ou des jazz et des contraintes qui pèsent sur les organisateurs dont ils ne parlent jamais préférant privilégier le contenu. Pourtant le contenu dépend fortement des contraintes économiques et politiques. Aucun festival de jazz – comme les autres – ne pourrait exister sans les subventions des collectivités territoriales toutes confondues dont la contrepartie se trouve dans la nécessité de la « réussite » : faire venir beaucoup de monde pour contribuer à la réputation de la ou des collectivités territoriales parties prenantes. L’échec est exclu comme la baisse de la fréquentation.
La situation économique liée aux politiques d’austérité jette une ombre menaçante à la fois sur la participation du public – sauf pour les concerts ou les animations gratuits – et sur les subventions futures. La recentralisation des financements entre les mains de l’Etat central s’est traduite par une baisse drastique des crédits pour la culture. Elle ne fait pas partie des compétences transférées mais se trouve dans la compétence générale fortement remise en cause. Certaines collectivités ne votent même plus leurs recettes…
Se rajoute le statut des intermittents de plus en plus déstructuré sans qu’aucune solution ne soit visible dans le paysage politique d’aujourd’hui. Plus personne n’en parle. Globalement, les spectacles vivants sont menacés de disparition.
Pour ce qui concerne le jazz, les festivals de cet été ne prennent pas beaucoup de risques. Peuvent-ils en prendre ?
Notre (petit) tour de France pourrait commencer par Vienne (du 28 juin au 13 juillet) qui regroupe à la fois les vieillards – comme Tony Bennett, un des grands crooners d’autrefois -, Bobby McFerrin, vocaliste toujours étonnant, Melody Gardot et… Hugh Laurie qui est au jazz et au blues comme une sorte de caricature. Sa sincérité n’est pas en cause mais sa célébrité tient plus au Dr House qu’a son apport esthétique. Il fait aussi la part belle au pianiste Tigran Hamasyan dont la virtuosité cache mal une absence d’imagination et de mémoire du jazz, mémoire du passé comme du futur. Il faut reconnaître qu’il plait beaucoup.
Ce tour pourrait se terminer à Marciac (dans le Gers pour ceux et celles qui l’ignoraient encore), lieu en ce début du mois d’août de la rencontre de toutes les fin de tournée. A boire et à manger, gratuits et payants tous les jazz se succèdent sans se rencontrer. Le temps des Jam sessions est terminé, les surprises aussi. Cette année, il commence le 27 juillet pour se terminer le 15 août, pour laisser le temps des orages se dérouler. Les musicien(ne)s que vous avez raté à Vienne, seront présents comme beaucoup d’autres qui ont passé par d’autres festivals. Un festival de festivals en quelque sorte.
Entre les deux, il faudrait s’arrêter à Souillac (dans le Lot) qui rend un hommage à son parrain, l’homme de radio Sim Copans, mon vieil ami qui a eu la mauvaise idée de nous quitter un jour de 2002. Des témoignages, des films, des émissions (celles de Sim) viendront illuminer notre présent tant le jazz est construit autour des liens qui se tissent entre présent et avenir. Ne rien oublier pour tout transformer. Du 15 au 22 juillet, la « scène centrale » permettra de voir Joachim Kühn avec Majid Bekkas et Ramon Lopez pour une musique qui se situe au bord de tous les horizons, en se servant de toutes les cultures, histoires de ces trois musiciens dont la joie de jouer est communicative ; Omar Sosa, pianiste qui veut mêler lui aussi toutes les traditions de la musique afro-cubaine, africaine et le jazz sans oublier le foklore imaginaire et le groupe « Pulcinella » – il faut écouter leurs albums dont « Clou d’estrade », Yolk Label, pour s’interroger sur nos certitudes – auxquels se mêleront d’autres musicien(ne)s, d’autres groupes sans parler des repas et de tout de ce qui fait une rencontre conviviale.
Arrêtons-nous à Junas, dans le Gard entre Nîmes et Montpellier dans cette carrière qui se souvient de trop d’histoires, pour une invitation à la Nouvelle-Orléans. Du 18 au 21 juillet, les organisateur(e)s ont voulu depuis le début – c’est la 19e édition – mettre en avant un « concept », inviter un pays ou une ville. Ils sont en train de faire le tour des Etats-Unis… Brian Blade, batteur, Nicholas Payton – un peu décevant à Jazz Sous Les Pommiers -, Christian Scott tous deux trompettistes, du gospel, du blues se partageront l’affiche comme des musiciens français Bernard Lubat, Patrick Artero, La Planche à Laver, un groupe bas-normand avec Don Vappie, banjoïste virtuose que j’avais interviewé…
Enfin, dernière étape Crest (dans la Drôme), du 29 juillet au 4 août – la nuit de l’abolition des privilèges certes en 1789 mais toujours d’actualité n’est-il pas ? – qui fête sa 37e édition dans un silence qui fait mal aux oreilles. Or, des stages de jazz vocal y sont organisés en dehors des concerts, j’y donne une série de conférences tous les jours à la médiathèque avec comme thème cette année « Les femmes dans le jazz » et un concours de jazz vocal y est organisé lui donnant un cachet singulier. Ne ratez pas Mina Agossi, une enfant du pays quasiment dont le dernier album, « Red Eyes » (Naïve distribué par Harmonia Mundi) vaut la peine d’être entendu et pas seulemen,t à cause de la présence de Shepp…
D’autres étapes sont possibles. 200 festivals de jazz recensés cet été. Le choix est large…
Nicolas BENIES.