Voyages…
Une chanteuse, Wendy Lee Taylor. Il me souvenait d’un album de cette vocaliste – plus juste que chanteuse, c’est une musicienne à part entière, on l’oublie un peu trop souvent – intitulé brutalement « Wendy Lee Taylor », orné d’une belle couverture du label indépendant Cristal Records et qui m’avait séduit. Il faut dire que le pianiste était Chris Cody, un de ceux qui s’était découvert dans ce début du 21e siècle – l’album en question date de 2004. Depuis, presque rien ou plutôt rien qui soit venu à mes oreilles, je parle de Wendy, Chris lui a continué une carrière que je lui souhaite grande.
Il a fallu attendre 2011 pour l’entendre de nouveau. Il porte un titre – de l’une des compostions de la chanteuse – « All You Have To Do » et elle est en compagnie de musiciens français qui lui offrent la possibilité de montrer une autre face de son talent, plus à même de séduire un large public, sans concession aucune. Le batteur brille de tous ses feux, Mourad Benhamou faisant la démonstration qu’il sait se faire discret derrière la chanteuse, Luigi Trussardi est à la contrebasse – il disparaîtra le 29 avril 2010, l’album lui est dédié par Wendy Lee – Cindy Taylor est au vibraphone et percussion et les anches brillent lorsqu’elle leur donne l’espace de le faire, Fabien Mary à la trompette, Pierrick Pédron, au saxophone alto – qui fait beaucoup parler de lui ces derniers temps – David Sauzay au ténor et à la flûte, Michael Joussein au trombone et Xavier Richardeau au baryton qui s’offre un solo aérien sur « Trav’ling light » (de Billie Holiday). Pour beaucoup de standards, elle en compagnie de la seule section rythmique, Mourad, Cindy, Luigi et Pierre Christophe au piano. Il est ici de grandes réussites dont « Chez moi » qui bénéficie d’un arrangement efficace de Laurent Colombani. Tous ces thèmes mériteraient de passer sur les ondes, notamment cette chanson en français « Plus je t’embrasse » – avec un solo de flûte de David – et « Bonjour Tristesse ». Elle a de la présence même si sur certains thèmes, elle a tendance à crier outrepassant sa tessiture.
Sans révolutionner l’art du chant, Wendy Lee Taylor suit sa propre voie. A écouter. Pour se rendre compte que « My Taylor is rich » – comment faire pour la rater celle-là ?
Wendy Lee Taylor, « All you have to do », Safety records/Intégral Distribution.
Nicolas Béniès
Un trio, Jean-Pierre Drouet (percussions), Fred Frith (guitares) et Louis Sclavis (clarinette basse, soprano), enregistré « live » au festival des musiques improvisées de Franche-Comté – à Besançon en l’occurrence – et qui se livre sans retenue à cette création spontanée. Il se livre à un jeu de réminiscences, de souvenirs – ils en ont en commun, des duos -, de références et d’influences. Une musique aride, dure qui se laisse désirer avec des moments de dérives totales suivies d’une rencontre entre les trois inespérée qui laisse, passez-moi l’expression, sur le cul. Ces instants, il faut savoir les attendre. Il faut qu’ils se chauffent, qu’ils perdent leur individualité pour forger celle du trio puis la retrouver dans une autre configuration. Il faut suivre les méandres de cette improvisation à trois, de cette prise de risque insensé à notre époque. Qu’il y ait un festival pour le permettre et un label – In Situ qui, pour l’occasion a perdu sa belle couleur rouge réservée à l’intérieur – pour le faire connaître. L’auditeur doit oser, oser passer sur ses préjugés, sur les stridences, sur les à peu près pour aller chercher autre chose, un autre monde. Bien sur, cette tentative sera inachevée. Elle ouvre la porte à d’autres expériences qu’il faudrait tenter. Il faut accepter d’être mal à l’aise pour chercher à entrevoir d’autres paysages.
En même temps, trois grands musiciens se font entendre sans chercher les points de repères traditionnels. Ils ont accepté de se voir mettre en question. Cette musique est difficile, elle ne se laisse pas apprivoiser. Allez-y quand même pour découvrir une autre façon de « faire » de la musique à partir de matériaux épars provenant de toutes les autres musiques.
Jean-Pierre Drouet, Fred Frith, Louis Sclavis, « Contretemps etc… », In Situ/Orchestra.
Nicolas Béniès.
Malcom Braff, pianiste, a eu la chance et la malchance d’avoir un père missionnaire. Il est donc né à Rio, a vécu à Dakar – il y a découvert les tambours – et s’est trouvé dans le jazz, dans tous les jazz qui transpercent son piano. Il aime la danse et l’Afrique et s’est trouvé un maître – du moins on peut en avancer l’hypothèse – en Dollar Brand autrefois, aujourd’hui Abdullah Ibrahim. Il sait évoquer les tambours avec son instrument qui est aussi de percussions. Pour cet album Enja, « Inside », il a constitué un nouveau trio avec un grand bassiste américain exilé en Belgique, exil choisi, Reggie Washington et un jeune batteur viennois, Lucas Koenig qu’il faudra suivre. Il a invité la vocaliste Aurélie Emery pour le premier thème « Crimson Waves » évoquant la Jamaïque et le reggae. Il suit la voie ouverte par Monty Alexander. Il visite des compositions de Prince, et surtout les siennes… Sans oublier les traces du blues… Il sait créer des ambiances et son trio est soudé. Il est, pourtant, un peu trop minimaliste et on aimerait qu’il prenne plus de risques. Tel que, cet album est l’un des albums réussis.
Nicolas Béniès
Malcolm Braff, « Inside », Enja/Harmonia Mundi.
Un coffret pour rendre hommage à Cab Calloway, un coffret de 4 CD, pas trop cher mais constitué de bric et de broc. Le premier reprend un album RCA de 1958 qui fêtait le retour du Cab après un silence de quelques années. Le be bop était passé par là et le chef d’un orchestre dans lequel avait débuté de grands beboppers comme Dizzy Gillespie n’était plus qu’un musicien comme un autre. John Landis le fera renaître dans le premier « Blue Brothers » et lui fera rechanter cette « Minnie the Moocher » qui l’avait conduit au succès dans les années 30-40. Cabel a été un des grands dadaïstes de notre temps, de ce 20e siècle. Il sait faire éclater tous les mots pour les étirer, les rendre différents. Mr Hi De Ho, celui qui, avait inventé le zazou… Le terme et les vêtements. En américain le « Zoot Suit », le costume trop long, les pantalons bouffants, la montre dans le gousset… Comme souvent dans ces coffrets – Membran, un label allemand – la photo ne révèle rien du contenu. Le vieux Cabel qui sourit largement, n’est pas – heureusement – celui que l’on entend. Les CD 2, 3 et 4 suivent la chronologie nous amenant de 1934 à 1947. Fait à souligner la composition de l’orchestre est indiquée sans trop d’erreurs. Cab a fait dans les années 30 – après Duke Ellington – les beaux soirs du Cotton Club. Si vous ne connaissez Cab Calloway, ce coffret permettra de faire connaissance. Parions que vous ne pourrez plus vous en passer et que vous vous précipiterez sur le film – plutôt une succession de numéros – « Stormy Weather » pour le voir ainsi que Bill « Bojangles » Robinson – le grand des danseurs de claquettes qui a influencé Fred Astaire et beaucoup d’autres – et… Lena Horne.
Nicolas Béniès.
Cab Calloway, « Mr. Minnie the Moocher », FabFour/Membran/Intégral.