Un monde inédit

Un monde secoué par les crises

La configuration de l’économie mondiale à de quoi étonner. L’économie chinoise entre en déflation confrontée à une faiblesse de la demande et à une offre excédentaire qui devrait fait chuter les prix alors que l’Argentine est confrontée à une hyper-inflation et à crise de la dette qu’une aide du FMI voudrait combler. Le monde post-Covid est marqué par l’inédit et une incertitude renforcée. La crise climatique est aussi un facteur de dérèglements économiques.


Un monde disparaît…mais fait de la résistance…

La pandémie avait révélé l’hypermondialisation du monde, l’interdépendance des économies et l’importance, pour les firmes multinationales, des filiales d’atelier asiatiques, surtout chinoises. La politique de réponse à la crise sanitaire, de confinement des populations, par les autorités chinoises ont puissamment désorganisé les chaînes de valeurs internationales. Les discours sur la souveraineté nationale ont fleuri, des investissements ont été réalisés partout avec des subventions publiques, l’Allemagne en tête. Les Etats-Unis, pour se réindustrialiser, sont devenus protectionnistes. Une nouvelle mondialisation est en train de naître, difficilement dans ce contexte de crises qui obère les logiques d’investissement.
Les risques de pénurie de l’énergie – du gaz surtout – accentués par la guerre de Poutine en Ukraine – un conflit qui sans être mondial se mondialise – ont fait s’envoler les prix du gaz, de l’électricité, indexé sur celui du gaz dans l’Union Européenne (UE), du pétrole puis de l’ensemble des matières premières. a spéculation sur les marchés financiers a fait grandir cette augmentation, déterminant une hausse des prix jamais enregistrée depuis 1985. Les grandes entreprises ont augmenté leur profit en 2022, distribuant des dividendes importants au détriment de l’investissement productif. En France, l’industrie agro-alimentaire, après avoir baissé ses marges fin 2021, les a fortement augmentées fin 2022 pour atteindre son plus haut taux de marge depuis une 20e d’années1. L’INSEE se paie le luxe de parler d’une « boucle profits-prix ». Sur deux ans, la hausse des prix de l’alimentation a atteint 21% en France. Les augmentations des dépenses contraintes accroissent les inégalités et la pauvreté.
Le pouvoir d’achat a fortement baissé diminuant la consommation des ménages facteur traditionnel de la croissance depuis la grande récession qui a suivi la crise financière et systémique de 2007/2008. Baisse renforcée par la hausse de l’épargne – la collecte du livret A atteint des sommets – au grand dam des économistes officiels. L’investissement des entreprises n’a pas massivement pris le relais. Résultat, les taux de croissance, particulièrement dans l’UE, sont très faibles, +0,5% de croissance pour la France2. L’économie allemande sera en récession en 2023 déprimant toutes les économies européennes. Le recul des exportations chinoises, image de la mise en place d’un modèle de développement plus autocentré, met à mal le modèle industriel allemand.
La réponse des banques centrales, à commencer par celle de la FED, la banque de réserve américaine, a été brutale. Une augmentation rapide des taux directeurs jamais vue depuis au moins trente ans. Un passage en l’espace de quelques mois d’un taux proche de 0% à 3% pour arriver en juillet 2023 à 5,25% et même 5,50%. L’endettement des entreprises, des ménages, des États – très endettés avec le « quoi qu’il en coûte » – devient de plus en plus difficile à gérer dans un environnement où l’absence de création de richesses ne permet pas de le financer. Les autres banques centrales des pays développés ont suivi. La BCE a monté ses taux jusqu’à 3,75%. L’objectif est toujours le même, 2% d’inflation et ce dans tous les pays développés.
La conséquence la plus marquante – et attendue –, la dépression de l’économie. La baisse de la demande pour faire diminuer les prix en dégradant la situation des salariés, accusés, suivant la théorie dominante, de faire monter les prix par la spirale « salaires-prix », ce qui n’est pas démontré dans le contexte actuel. L’augmentation des taux se répercute aussi – et fortement – sur les comptes publics et plus encore à partir de 2028.
Cette hausse est aussi une des causes des faillites des banques américaines – dites régionales – aux États-Unis en mars-avril de cette année qui n’a pas donné lieu à des enchaînements récessionistes immédiats par l’intervention rapide de l’Etat. Mais cette crise bancaire n’est pas terminée. Les risques de faillite des grandes sociétés immobilières chinoises – Country Garden après Evergrande – qui dépriment les Bourses du pays pourraient aussi avoir des effets sur les fonds d’investissement américains et les banques.
La crise immobilière chinoise provoque la baisse de la demande en minerai de fer se répercutant sur l’activité de BHP, la plus grande compagnie minière mondiale, australienne, qui a vu ses résultats reculés de près de 40% et a divisé son dividende en deux. L’effet « boule de neige » est possible provoquant un séisme de grande amplitude alimenté par tous les autres bouleversements.

Quelles réponses ?

Les mesures d’urgence doivent s’inscrire dans un plan pour offrir une perspective d’ensemble. La hausse des prix actuelle – l’inflation – signe la fin d’un monde, ouvert en 1985 qui avait signé l’avènement d’une forme de capitalisme financiarisé et mondialisé. Compétitivité et privatisation en était les deux mamelles principales, l’idéologie dite néo libérale servait de règle de conduite. Ce monde là a vécu. Sa survivance pourtant a des effets en forme de catastrophe pour toute l’humanité. Ainsi, comme le titre Alter Eco, « la guerre de l’eau » est déclarée. L’eau va se faire plus rare. Des spéculateurs veulent en faire un produit financier côté sur les marchés financiers somme les autres matières premières. Une appropriation privée du vivant alors que la pandémie a fait la démonstration de la nécessité des services publics pour le bien commun de toutes les populations.
Inédit est le contexte actuel. La nécessité de s’adapter aux dérèglements climatiques oblige à transformer l’environnement, à repenser l’architecture, les villes, à effectuer une révolution copernicienne dans la manière de penser. Ce mouvement qui conduit à entrevoir une relation différente avec la terre, avec le vivant, rebat en même temps les cartes de l’organisation du travail en obligeant les responsables d’entreprises à envisager des modalités différentes et rend impératif la réduction du temps de travail. Il est aussi porteur d’une autre croissance, d’une autre manière de créer des richesses. En France, le Président est enfermé dans ses bunkers idéologiques et dans une pensée surannée qui ne sait raisonner qu’en baisse des dépenses publiques et de baisse des impôts pour les plus riches plutôt que de s’orienter vers une vue d’ensemble comme le propose le rapport Pisani-Ferry/Mahfouz comme par les scientifiques qui s’engagent de plus en plus sur le terrain politique pour être entendus. Solutions qui s’inscrivent dans les réponses aux crises qui demandent d’élaborer la construction d’un autre monde, d’autres modalités de fonctionnement de la société. Pour tout dire : une vision d’avenir !
Nicolas Béniès.