Coup de colère

La culture c’est comme quoi ?

La culture, un sujet tellement brûlant que personne n’en parle. Les ministres de la culture, au cours du temps, n’ont pas fait beaucoup de bruit. La pandémie a permis de dévoiler le pot aux roses, la culture est devenue marchandise. Les plaintes diverses, des musées comme des discothèques, portaient sur l’absence de recettes sinon de profit. Le festival de Cannes a entendu les gémissements d’une profession sur la désaffection du public qui ne fréquenterait plus les salles pour se réfugier chez eux devant leur série préférée. Heureusement, certains s’interrogent comme les signataires d’un texte publié dans Le Monde du 18 mai 2022 : « Les choix politiques de nos institutions fragilisent gravement le cinéma », le titre résumant l’essentiel de la contribution. Le cinéma est appelé à se transformer, à se refonder pour trouver une nouvelle place.

Le maître mot, depuis la fin proclamée – mais non inscrite dans la réalité de nos vies – du Covid, est « réinvention ». Un impératif, se réinventer ! Comment ? Pas vraiment de propositions caché derrière le choc des mots. Ainsi « Festivals : ça passe ou ça casse » (Le Monde du 31 mai) pour dire la multiplication de nouveaux événements, de formats, étranges, de mélanges plus encore sans poser la question centrale de la création mais celle, plus prosaïque et sans réponse pour le moment de la présence du public. Comment renouer les liens distendus, comment envisager de nouvelles manières de jouer, de correspondre dans des sociétés qui semblent ne plus avoir de communs entre elles ? Refonder les liens collectifs c’est aussi un des rôles de la culture.
Le monde d’hier est à l’agonie, le monde de demain est en train de naître. Il a besoin d’utopies, d’univers différents, d’œuvres d’art qui marquent une rupture. Il demande de l’imagination. Ces nécessités, vitales pour notre existence, exigent d’accepter l’échec. La réussite, est devenue la finalité essentielle. Les festivals, puisque c’est leur temps, qui bénéficient souvent de subventions doivent contribuer à l’image des élus, qu’ils soient locaux ou nationaux. Les politiques publiques gangrenées par les économistes néo-classiques qui considèrent uniquement les coûts et se proposent de les optimiser, sont centrées sur la marchandisation. C’est le blocage le plus important de toute politique culturelle. Sortir de la logique du marché, sortir des critères liés à la rentabilité est primordial. Cette privatisation rampante en cours depuis les années 1990 s’oppose totalement, frontalement aux services publics. Les conséquences de ces choix idéologiques sautent aux yeux aujourd’hui. La santé, l’éducation paient le prix fort de cette volonté de privatisation, socle de toutes les décisions politiques. La culture est la grande oubliée, malgré tout. Elle fait pourtant partie des services publics.
Sortir de la marchandise suppose des moyens et des vecteurs comme la radio ou la télévision. Le gouvernement – plus exactement le président de la République -, sans attendre, a décidé de supprimer la redevance, avec un zeste de démagogie. La signification ne peut être que la privatisation accélérée de ce qui reste du service public. Le financement ne pourra avoir lieu que par
le biais des annonceurs privés – déjà bien présents – devenant inéluctablement des décideurs. L’avantage à court terme et individuel de cette mesure sera payée bien cher collectivement. Partout, à tous les niveaux, les subventions diminuent. Le Monde du 5 mai en fait état : « A Lyon, la région taille dans les subventions » ouvrant la porte au mécénat dont le but n’est aucunement philanthropique mais doit participer, là encore, à l’image de l’entreprise.
Le monde est fracturé, comme nos sociétés au niveau interne parle montée des inégalités, pas seulement à cause de la pandémie et de la guerre de Poutine mais fondamentalement par les crises qui se mêlent et s’emmêlent sans perspective d’en sortir. La fracture la plus importante – et la montée de l’extrême droite en témoigne, pas seulement en France – est celle résultante de la mort du monde ancien. Bloquer à tout prix ce saut dans l’inconnu est l’antienne entendue. La soi disant « théorie du grand remplacement », qui fait des morts aux États-Unis, révèle la peur devant ce monde en train de naître.
Combattre ces idéologies passe par le développement de toutes les cultures. Depuis les lois Pasqua – ministre de l’intérieur de Chirac – la société française, comme les autres, s’est renfermée sur elle-même au nom d’une pureté qui n’a jamais existé, au moment où l’hypermondialisation était en train de se construire. La progression de nos connaissances, de nos mémoires, de nos sentiments, de nos esthétiques est le résultat d’une confrontation avec d’autres pour dépasser le passé et construire un avenir. L’apport d’autres cultures est une condition sine qua non de la création.
La culture est un entrelacs de mémoires collectives et individuelles, sociales, politiques qui tisse des liens, qui constitue notre commune humanité, des liens invisibles qui n’en sont pas moins très forts.
Dans ce monde qui bascule, dans ce monde qui meurt, la culture est vitale pour imaginer un autre monde. Pense-t-on que ce mouvement de transformation sera automatique ? Toutes les générations qui manquent de lieux communs, de luttes communes pour faire histoire, se doivent ,de forger des cultures communes. La marchandisation s’oppose à cette nécessité vitale.
La formule est connue « La culture, c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale », le problème de nos gouvernants c’est qu’ils manquent de confiture.
Nicolas Béniès