Le choix de la déréglementation financière, effectué dans les années 1980, montre aujourd’hui toute sa nocivité. Il a permis aux marchés financiers d’étendre leur domination, au détriment du bien-être des populations.
Pendant que les cours boursiers des pays développés oscillent au gré des évolutions de la guerre de Poutine en Ukraine, les prix du pétrole et plus généralement ceux de l’énergie comme des matières premières sont orientés à la hausse. Il est question du retour de l’inflation. En France, les prix à la consommation ont augmenté de 4,5% entre mars 2021 et mars 2022, soit la hausse la plus forte depuis 1985. La baisse des cours, fin avril 2022, n’y change rien. seule, une fois encore, l’action change, un peu le prix à la pompe pour le carburant.
Les prix s’envolent
Il n’y a actuellement aucune pénurie, ni sur le pétrole, ni sur le gaz, ni sur le blé. La montée des prix s’explique par la financiarisation des marchés. Chaque matière première est cotée et fait l’objet de spéculation. Sur des marchés à terme, sur une production future.
Les opérateurs prévoient que, dans l’avenir, l’offre de gaz sera insuffisante pour faire face à la demande à cause de la guerre elle-même et des sanctions contre la Russie, comme pour le pétrole – pour la même cause mais aussi parce que les pays de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP) n’augmenteraient pas leur production – et d’autres matières premières. Ces prévisions se traduisent par l’augmentation des cours sur les marchés à terme, le prix auquel on achète du pétrole aujourd’hui pour une livraison dans le futur. Contre toute logique, cette augmentation s’applique immédiatement, avec notamment une forte hausse du prix du baril de pétrole, immédiatement répercutée sur celui des carburants à la pompe. Les pétroliers bénéficient ainsi d’une forte majoration de leurs marges, et réalisent des surprofits que rien ne peut justifier. Les profits records réalisée par Total en 2021, de 13,5 milliards d’euros, pourrait ainsi bien être dépassés en 2022.
La domination des marchés financiers et leur nocivité sont ainsi clairement mises en évidence. Les États se trouvent impuissants à agir face à eux. Ils ne font clairement pas le poids et leurs politiques économiques ne fonctionnent guère. La politique agricole commune de l’Union Européenne n’est plus qu’un système de subventions. Elle n’a plus la capacité de sortir de la logique financière pour mettre en place un début d’indépendance alimentaire. Les États ne peuvent pas non plus agir sur le marché pétrolier. Pour essayer de limiter la tendance à la hausse, les États-Unis se disent prêts à relâcher un volume « historique » de leurs stocks de pétrole mais cela risque de ne pas être suffisant. Face aux bouleversements actuels, liés à la guerre et à la pandémie, tout comme c’était aussi le cas face à la crise financière de 2007-2008, il apparait nécessaire de réglementer ces marchés et de redonner aux États les marges de manœuvre perdues, notamment sur les prix des biens de première nécessité.
Endiguer l’inflation et comment
Pour l’instant, seuls certains prix augmentent, donc il ne s’agit pas à proprement parler d’une processus inflationniste, qui se caractérise par une hausse généralisée des prix et une dépréciation de la monnaie. Cette distinction est capitale. Elle détermine le type de politique monétaire qui doit être menée. Le choix fait par les banques centrales, à commencer par la FED, est de limiter la quantité de monnaie en circulation pour endiguer les tensions inflationnistes repose sur une analyse erronée de la réalité. Les conséquences peuvent être dramatiques pour les stratégie ,de sortie des crises par les États qui ont besoin de s’endetter pour restructurer leur économie. .La banque centrale américaine, la FED, a ainsi décidé de mettre fin à sa pratique du « quantitative easing », qui consiste à injecter des liquidités en rachetant des titres de dette publique. Elle a aussi augmenté ses taux d’intérêt directeurs, ce qui a pour effet de rendre plus cher le recours au crédit et donc de diminuer la masse monétaire en circulation. La Banque centrale européenne suit le même chemin, suscitant de ce fait des débats en son sein.
Si cette politique s’amplifie, elle pourrait se traduire par une augmentation du service de la dette pour les États. En France, le taux d’intérêt à dix ans de la dette publique est ainsi passé de 0% à la mi-décembre 2021 à 1% en mars dernier. L’augmentation de ces taux d’intérêt pèse aussi sur les entreprises, puisque le financement externe de leurs investissements devient plus coûteux ; elles peuvent aussi être mises en difficulté en cas de manque de trésorerie, ce qui pourrait occasionner des faillites.
La nouvelle architecture géopolitique qui sortira de la guerre sera déterminante dans la réalisation ou non des pronostics des traders. Pour l’heure, le résultat le plus visible et le plus alarmant est la baisse du pouvoir d’achat et la hausse des inégalités. L’augmentation des cours des matières premières peut conduire, dans beaucoup de pays, à la disette et à la famine. En France, les ménages qui sont dépendants de leur véhicule personnel, faute de solutions de transports en commun pour aller travailler, faire les courses, amener les enfants à l’école, etc., voient leurs conditions de vie se dégrader. La précarité énergétique, qui était déjà la réalité pour les ménages les plus modestes, se fait ressentir avec beaucoup plus d’acuité.
La guerre et la pandémie approfondissent les tendances passées. On a pu croire à une reprise en 2021 mais celle-ci était largement due à l’intervention de l’État et à la profondeur de la récession. Désormais, les sanctions contre la Russie et surtout la baisse du pouvoir d’achat des ménages font craindre que s’installe une profonde récession. Si les États veulent mettre en œuvre une réindustrialisation tout en luttant contre la crise écologique, ils devront commencer par s’affranchir de la domination des marchés financiers qui, si on les laisse faire, finiront par coter tout le vivant.
Nicolas Béniès
(Version nouvelle un peu allongée)