Échos du passé et d’ailleurs pour une musique d’aujourd’hui.
Beaucoup de nouveautés parues en ce premier semestre 2019. Beaucoup d’entre elles ne sont pas chroniquées. Pour se faire une idée de la production, il faut se reporter aux revues spécialisées, Jazz Mag pour la France. A voir l’ensemble des parutions d’un mois, on en a le tournis. Une sélection donc parmi les sorties dont j’ai eu connaissance.
Un voyage au long cours en solitaire pour débuter cette deuxième série. Claude Tchamitchian a voulu à la fois rendre hommage à la contrebasse et à Jean-François Jenny-Clark, mort voici 20 ans qui, comme le fantôme qu’il est devenu sait hanter, habiter l’instrument. Pour réunir ces deux objectifs, il utilise la contrebasse de JFJC pour développer l’esprit de l’une et de l’autre. « In Spirit » est cet album inclassable qui cherche à torturer de nouveaux espaces sonores. L’ennui n’est pas au rendez-vous. Suivre les méandres du travail de Tchamitchian donne à l’auditeur la possibilité de s’échapper pour se souvenir de Jean-François qui m’a laissé une image indélébile lorsque je l’avais interviewé, mais aussi de lambeaux d’images réelles ou imaginées qui traînent à la surface d’un cerveau plus ou moins encombré.
« In Spirit », Claude Tchamitchian, émouvance/Absilone distribué par Socadisc
Stéphane Huchard, batteur, et son Cultisongs trio, Stéphane Guillaume aux saxophones, Thomas Bramerie à la contrebasse, ont voulu faire renaître les grands airs de la comédie musicale de Broadway dans « Off-Off Broadway », mélange de « standards » du jazz. Un hommage réussi avec une pointe de regret : la folie n’est pas présente, la sauvagerie non plus. Il fallait bousculer un peu plus ces mélodies connues pour en faire de la charpie. Pourtant, ces trois là ne répètent pas, ne copient, pas. Les arrangements sur ces thèmes très connus sont intelligents, pleins d’échos des temps passés… sans réussir à communiquer leur ardeur.
« Off-Off Broadway », Stéphane Huchard Cultisongs trio, Jazz Eleven
Francis Lockwood, pianiste et frère aîné de Didier, préparait cet album, « Minton’s Blues » – en référence au club de Harlem qui a vu naître le be-bop – lorsque la mort subite due son violoniste de frère l’a surpris et nous aussi. « Didier » est l’une des grandes compositions de Francis qui, avec le soutien de son quartet, Baptiste Herbin – un jeune saxophoniste alto découvert à Coutances – Damien Nueva contrebasse et Frédéric Sicart batterie fait revivre une image du violoniste disparu trop tôt. Les autres thèmes font référence à ces années d’après deuxième guerre mondiale où le be-bop se mélangeait à l’afro-cubanisme, le « cu-bop », pour faire surgir de nouvelles directions et même des lambeaux de créations laissées de côté. Francis creuse tous ces sillons pour en faire sa marque personnelle. Un voyage dans le présent de notre passé.
« Minton’s Blues », Francis Lockwood quartet featuring Baptiste Herbin, Frémeaux et associés.
« Quiet Men », hommes silencieux, calmes, est un curieux titre pour ce quartet non moins étrange pour une musique qui vogue dans les âmes comme un bateau au gré des envies des courants. L’errance est organisée, emportée par d’autres logiques que la seule rationalité. Denis Colin est l’un des grands spécialistes de la clarinette basse dont il se sert pour s’orienter dans des contrées étranges connues quelquefois mais qui ne se laissent pas reconnaître facilement. Pablo Cueco, au Zarb, est l’un de ses compagnons habituels, déjà présent lors des enregistrements pour « In Situ », qui lui permet un dialogue implicite avec la clarinette basse.
Simon Drappier a choisi un instrument venu de la nuit de la mémoire, l’Arpeggionne, mi-violoncelle, mi-guitare en cours de renaissance si l’on en croit les notes de pochette. Les sonorités sont inhabituelles et font, comme le nom de l’instrument l’indique, la part belle aux arpèges. Julien Omé, à la guitare, complète cette formation unique. Le voyage est assuré.
« Quiet Men », Colin/Cueco/Drappier/Omé, FaubourgduMonde/Absilone
Trois flûtistes viennent illustrer la vitalité de cet instrument qui a fait sa place dans les mondes du jazz. Naïssam Jalal d’abord, franco-syrienne, à la recherche de l’invisible, « Quest of the Invisible » pour un double album. Elle sonde l’âme du voyageur confronté au chant des nuages et termine par une prière pour les disparu-e-s, les mort-e-s, les violées contre la guerre meurtrière. Leonardo Montana au piano, Claude Tchamitchian et Hamid Drake au daf apportent leur sensibilité à cette musique qui sait nous transporter en nous angoissant face à la marche de ce monde pris dans la spirale de la barbarie.
Émilie Calme – c’est son nom » a choisi un autre registre plus en phase avec l’histoire du jazz, reprenant des compositions de Bud Powell, John Coltrane, Randy Weston, Harold Land ou même Tony Murena – accordéoniste swing un peu trop oublié -, Gilberto Gil sans oublier Robert Mavounzy sous l’influence, du moins je le suppose, du pianiste Alain Jean-Marie. « Flûte Poésie » est un titre qui convient bien à la sensibilité de la musicienne. Un premier album qui laisse bien augurer d’une suite. Laurent Maur, harmonica, Gilles naturel, contrebasse et Lukmil Perez, batteur contribuent, tout autant qu’Alain Jean-Marie à la réussite de ce voyage.
Fanny Ménégoz, avec son groupe Nobi, a choisi d’explorer une face cachée de la musique et de la flûte traversière. Elle a voulu nous faire voyager en faisant l’« Éloge de l’envers ». Elle nous emmène « derrière eux » et dans « la valse du chat perché qui avait le regard de travers » pour des glissements progressifs dans des univers parallèles. Gaspard Jose, vibraphone et percussions, Alexandre Perrot, contrebasse et Pierre Mangeard, batteur, explorent et creusent les compostions de la flûtiste.
« Quest of Invisible », Naïssam Jalal, Les Couleurs du Son distribué par L’autre distribution ; « Flûte Poésie », Émilie Calme, Continuo Jazz ; « Éloge de l’envers », Fanny Ménégoz, Nobi, Petit Label, www.petitlabel.com
Nicolas Béniès.