UIA Jazz, 12 décembre, Campus 2, amphi Letellier

Résumé et propositions la deuxième rencontre le 12 décembre

Cette année, j’ai osé. Je vous présente mon livre à paraître « Le souffle de la révolte » qui traite à la fois du premier DISQUE de jazz et de la place du jazz dans les années 1920 et 30.
Disque est écrit en capitale pour signifier plusieurs choses.

Un cylindre d’Edison.

Décembre 1877, Thomas Edison invente le phonographe, Les sons sont enregistrés sur un cylindre recouvert d’une feuille d’étain. Le 30 avril 1877, Charles Cros avait déposé un mémoire qui préconisait cette méthode entre autres possibilités. Edison s’est approprié cette découverte.

La première est d’ordre technologique. Le disque commence à exister vers ces années 1917. Disons,

Le 78 tours de l’ODJB

pour simplifier, que le 78 tours – une grande invention – prend la place du cylindre commercialisé par Edison dans ces années là. Une invention qui permet de baisser les coûts et d’élargir le marché. Le disque est un produit de production de masse et de consommation de masse. Le produit culturel musical avait besoin de cette nouvelle technologie.
La deuxième : premier disque de jazz signifie aussi que le jazz existait avant le jazz. La musique syncopée, enregistrée sur cylindre – ce qui explique l’absence de grattements et le son métallique – avait nom « Ragtime ». L’an dernier je vous avais fait entendre un « ragtime drummer » participant à la comédie musicale « Dahomey », une des premières avec des acteurs Noirs, le batteur étant le seul Blanc.
Scott Joplin sera le plus connu des pianistes de ragtime mais d’autres ont aussi laissés un nom comme Eubie Blake, Tom Turpin…

Une photo de John Philip Sousa

Des orchestres de ragtime, proches souvent de la musique militaire auront du succès comme celui dirigé par le compositeur John Philip Sousa qui, voisin de James Europe, lui donnera des leçons.
Enfin le terme JAZZ, s’écrit d’abord JASS. Le premier disque de jazz sera donc celui de l’Original Dixieland Jass Band pour ne pas trop choquer les biens-pensants qui n’auront de cesse, pourtant, de faire du jazz la musique du diable qui vient pervertir l’esprit de nos enfants. On retrouvera les mêmes délires à propos du rock.
JAZZ désignera non pas seulement la musique mais aussi toute la période des années 1920. Les « années folles » pour la France, les « Roaring twenties » pour les Etats-Unis seront également qualifiées d' »Age du jazz » Les titres de Scott Fitzgerald résumés sous le titre générique de « Jazz Age » ne font pas référence à la musique mais aux « speakeasies » où on buvait de l’alcool frelaté – le « Moonshine » – pour enrichir les gangs. L’âge du jazz fait référence à cette organisation sociale.
Dans le même temps, en France, le jazz devient un mode de vie. Il recouvre toutes les transformations de cette société qui veut oublier la guerre et sait, malgré tout, qu’elle vit sur un volcan. La lucidité obligé à vivre différemment. Les femmes, un grand révélateur des changements, se coupent les cheveux deviennent des « Garçonnes », abandonnent le corset et se libèrent de toutes les façons possibles.
La musique donne le rythme.

De quel jazz parle-t-on ?
Les histoires du jazz traditionnelles, de celles qui datent – peu de récentes existent – ont comme infrastructure une chronologie du jazz faite de dates d’enregistrement. Il arrive que la publication s’effectue longtemps après l’enregistrement. Ainsi, elle donne une place importante à King Oliver et son Creole Jazz Band, à Jelly Roll Morton et, évidemment à Louis Armstrong et se « Hot Five » et « Hot Seven » enregistrés à Chicago pour le label OKeH.
Mais tous ces jazzmen sont Noirs et leur disque sont ciblés « Race Series », autrement dit une production dirigée vers la population noire des ghettos des grandes villes américaines. La population blanche n’en n’a pas vraiment connaissance. Et cette frontière perdura. Lorsque Elvis Presley voudra entendre les musiciens noirs dans cette fin des années 1940, il est obligé d’allers vers les disquaires de « Beale Street, le ghetto noir de Memphis. Il a la malchance d’habiter à côté dans un taudis, issu d’une famille de pauvres. Les « race series » ont certes disparues apparemment. la dénomination a changé sans changements de la politique de marketing. On parlera de « Rhythm and Blues » pour qualifier les « Race Series » de ces années là.
Le « ciblage » permet de limiter la production et donc les méventes et la surproduction et de confiner ces musicien-ne-s dans leur communauté. Inutile d’ajouter que ces disques ne sont pas exportés.
Les intellectuels comme Leiris qui est vraiment le réceptacle typique de cette musique, comme Philippe Soupault ou Robert Goffin, l’un des rares spécialistes de cette musique – un surréaliste belge, raison pour laquelle on l’oublie ? – et un ensemble de gens touché par la grâce de cette musique n’écoutent donc pas ces chefs d’œuvre connus des seuls ghettos noirs.
Les orchestres qui tiennent le haut du pavé aux Etats-Unis comme en France, via la radio – dont la date de naissance est aux débuts des années 20 – et les tournées, c’est d’abord celui de Paul Whiteman et du britannique Jack Hylton. Je vous ai fait entendre Paul Whiteman, « Wang Wang Blues », enregistré en 1920 et « Happy Feet » en 1930 :

En prime, l’enregistrement de la 3rhapsodie in Blue », enregistrée en 1924 par ce même orchestre avec George Gershwin au piano, le compositeur.

Et un Jack Hylton que je ne vous ai pas fait entendre

Jack Hylton se produira, en 1930, à l’Opéra de Paris et il aura une influence certaine sur Ray Ventura.

Les spectacles sont les moments d’émotions qui changent la vie comme le premier d’entre eux, « La revue Nègre », de 1925 avec Joséphine Baker. Un scandale qui mobilisa Leiris, Soupault, Cendrars, Cocteau et beaucoup d’autres. L’oubli est tombé sur l’orchestre qui accompagnait Joséphine, celui du pianiste/compositeur Claude Hopkins. Une seule mention de musicien, Sidney Bechet qui y joua temporairement de la clarinette. C’est pourtant Hopkins qui recruta Joséphine pour ce voyage à Paris. En 1936, le pianiste jouera au Cotton Club les airs de la comédie musicale « Singin’ in the Rain ».
Le grand choc que racontera Michel Leiris ce fut le spectacle des « Black Birds » à Paris en 1929. Georges Bataille que le jazz ne toucha pas vraiment, fit de la place dans son dictionnaire pour les « Black Birds » pour dire le choc ressenti au-delà des jazzfans.
Un autre orchestre était aussi écouté, celui de Duke Ellington. Engagé au Cotton Club en 1926, l’orchestre et son chef feront leurs classes dans ce club avec interdiction de se produire ailleurs. Comme dira « Duke », il était là au bon moment. Madden, un gangster notoire, tenait en mains toutes ses troupes.
Du Cotton club avait lieu des émissions de radio intitulées sobrement « En direct du Cotton Club » qui fit beaucoup pour la renommée du Duke.

« The Mooche », enregistré en 1928 avec comme invité le guitariste virtuose Alonso dit Lonnie Johnson

Nicolas Béniès ( à suivre)

PS D’autres infos sur l’article UIA Coutances.

(suite) Pour la deuxième session nous aborderons des histoires de prophète. Le jazz en avait besoin d’un, ce sera Sidney Bechet. En concert, à Londres, en 1919 avec Will Marion Cook’s Syncopated Orchestra, il fait l’admiration du chef d’orchestre suisse Ernest Ansermet qui l’écrira dans la revue de la Suisse Romande. Ansermet qualifiera ce jeune homme de 21 ans, clarinettiste de génie. Rien de moins.

Playbill from 1898 showing Edward E. Rice’s Production of Cook’s Clorindy featuring the song « Darktown is Out Tonight »

L’oubli est tombé sur Will Marion Cook, le chef d’orchestre, né le 27 janvier 1869 à Washington D.C., violoniste compositeur. La mort de son père et les difficultés de sa mère l’envoie chez ses grands parents à Chattanooga. Grands parents, anciens esclaves ont acheté leur liberté. Il découvre grâce à ce nouvel environnement le blues et le gospel. A l’instar de W.C. Handy qui racontera la même histoire mais à Memphis Il étudie avec Dvorak et travaille avec la compagnie George Walker-Bert Williams, un groupe minstrels. Bert Williams, une grande vedette était Noir et se grimait en noir comme tous les autres.
Sidney a été engagé en 1918 par Cook et participe de la venue de l’orchestre à Londres commanditée par le roi George V himself. Il s’est déjà, Sidney, fait remarquer. Il est considéré comme le premier grand soliste du jazz même si aucun enregistrement ne peut en témoigner. Avant Louis Armstrong. Il faudra attendre 1923 pour qu’il enregistre ce « Wild Cat Blues » avec l’orchestre de Clarence Williams.
Pour la première fois, à Londres, il s’essaiera au soprano.Sans suite, il n’aime cet instrument qu’il revend. Un peu plus tard, il en comprendra l’intérêt pour devenir le soliste d’un ensemble et se faire entendre. La puissance sauvage de Bechet trouvera via cet instrument qu’il inventera quasiment toute sa représentation.
Au début des années 20, Il sera chassé du Royaume-Uni pour cause d’alcoolisme aggravé et bagarres sur la voie publique. Expulsé! Le même scénario se reproduira à Paris… A cause de tous ces expulsions, prisons, interdiction de territoire dus à l’alcool, Sidney disparaîtra des radars. Rentré aux Etats-Unis, après avoir fait 9 mois de prison en France, il est ignoré. Avec son ami, Tommy Ladnier, trompettiste sensible et rempli de blues, il devient retoucheur dans un pressing. Certains ont parlé de ‘tailleur », un métier difficile. Le moment de ce retour n’est pas très bien choisi : 1929!

La collection Jazz Time, dirigée en son temps par Daniel Nevers, avait consacrée une série aux enregistrements européens, britanniques d’abord, réalisés aux Etats-Unis. « Harlem Rhythm » en était le premier.

La crise touchera l’industrie du disque comme toutes les autres. Les disques se vendent plus difficilement. la firme britannique Parlophone en profitera, à partir de 1933, pour venir aux Etats-Unis enregistrés quelques jazzmen dont, évidemment, Duke Ellington, vedette du Cotton Club ainsi que « The Mills Blue Rhythm Band », « The Washboard Rhythm Kings », Benny Carter et don orchestre ainsi que l’inventeur du Big Band, Fletcher Henderson. Les années 1930 seront marquées par la connaissance via le disque des grands créateurs Noirs de cette musique.
Sur cette lancée, se découvrent toutes les « race series » et le monde européen prend connaissance de tous ces disques. 1934, ce sera la première venue de Armstrong à Paris. Il en reste quelques traces. Et en 1938, Hughes Panassié fera le voyage aux Etats-Unis, en 1938, pour enregistrer Bechet – avec Mezz Mezzrow – et Tommy Ladnier (qui décédera quelques temps plus tard).