Le coin du polar (2)

Mélanges de temps.

Jean d’Aillon a eu une idée qu’il faut bien qualifier d’intelligente : se servir des intrigues de Conan Doyle et les projette en plein 15e siècle, en 1422 par exemple pour ce recueil de nouvelles qui se déroule pendant la guerre de 100 ans entre Armagnac et Bourguignon. Paris souffre de la disette et presque de la famine. Rien ne va plus. Dans ce contexte qui a vu Jeanne d’Arc faire couronner Charles VII, puis sa condamnation comme « sorcière » par l’évêque Cauchon, des intrigues se nouent. Peu de traces dans les histoires du temps mais suffisantes pour susciter l’imagination de l’auteur capable de « coller » les enquêtes de Sherlock Holmes.
« Les exploits d’Edward Holmes », un recueil de trois nouvelles, et de son ami Gower Watson, permettront de dessiner des complots pour asseoir le pouvoir de Charles VII, de jeter une lumière crue sur la corruption des clercs d’Eglise et sur la noblesse elle-même. Holmes est ici un clerc qui s’ennuie, comme Sherlock et cherche des distractions, Watson un archer qui n’arrive pas à suivre les méandres de la pensée de son ami… Habitants du Paris bizarre de ce temps qui ne connaît pas les frontières mais plutôt les luttes de pouvoir des familles régnantes, ils essaient de survivre et de sauver le peu qui peut être sauvé.
Si vous connaissez les aventures de Sherlock Holmes et du bon docteur Watson, l’intrigue vous fera un clin d’œil sans que l’essentiel en souffre : une plongée dans ces temps reculés pour éviter de parler des « 1000 ans de la nation française ».
Nicolas Béniès
« Les exploits d’Edward Holmes », Jean d’Aillon, Grands détectives/10/18.

16 ans, enceinte et toutes ses dents.

Shannon Kirk, l’auteure, est avocate à Chicago. « Méthode 15-33 », une méthode propre à la jeune femme enlevée, est son premier roman. Le contexte : le trafic lucratif de bébés pour des couples qui ne peuvent avoir d’enfants et rebutés par les difficultés de l’adoption. Un trafic qui rapporterait plus que celui de la drogue suivant l’auteure. Deux frères le pratiquent. L’un, un peu borné ne réussit rien de ce qu’il entreprend, l’autre plus intelligent, instigateur du trafic. Ils retiennent prisonnières les jeunes femmes jusqu’à leur accouchement, vendent le bébé déjà promis à un couple et tue la jeune mère. Souvent des jeunes femmes isolées dont la famille est absente. Une situation commune aux Etats-Unis comme ailleurs. Beaucoup de ses disparitions restent inexpliquées.
Cette jeune femme de 16 ans est différente. Elle a voulu un enfant et a circonvenu son petit ami qu’elle a quitté. Elle évite la panique par des moyens qui se veulent scientifiques. Elle conçoit un plan pour s’en sortir et sauver d’autres jeunes filles elles aussi aux mains des deux assassins.
Le retournement est spectaculaire. Jouissif. Une sorte de revanche sur tous les malfrats que compte notre humanité gangrenée par ce libéralisme individualiste. Cette jeune femme est forte de toute l’intelligence qu’il faut développer pour ne pas se laisser bouffer par tous ces vautours.
Nicolas Béniès
« Méthode 15-33 », Shannon Kirk, traduit par Laurent Barucq, Folio/Policier

Tous dans le même SAC.

« Avant l’aube » se déroule en 1966. Une jeune femme, 25 ans, enfance chez les Sœurs, sans parents connus, ancienne prostituée devenue l’épouse d’un entrepreneur du bâtiment et maîtresse d’un sénateur, est retrouvée morte. L’inspecteur Philippe Marlin enquête. Ancien des maquis, il garde de la Résistance une haine des collabos et anciens nazis. Son chef, Baynac, homosexuel et ancien aussi de la Résistance, sait que la recherche du meurtrier les entraînera sur les traces du SAC, le Service d’action civique, bras armé du Général de Gaulle. Le SAC réunit, gaullistes « purs », gangsters protégés et anciens collabos et membres de la Milice. Un mélange détonnant capable d’assassiner pour protéger les siens.
Xavier Boissel, l’auteur, dresse le portrait d’une époque un peu oubliée aujourd’hui pour ne se souvenir de la « grandeur de la France » et de la croissance économique. En 1966, les générations successives n’en ont pas fini ni avec la guerre – la deuxième – ni avec la guerre d’Algérie. Tous ces fantômes tournent et retournent dans la tête de Marlin pour faire parie intégrante de l’intrigue comme du contexte.
A le lire, on a l’impression que ce temps a l’air lointain. Mais l’affaire Boulin vient de temps en temps nous rappeler que ces officines ont à leur actif – si on peut dire – une pléiade d’assassinats. A la fin, les méchants gagnent… Pouvait-il en être autrement ?
Nicolas Béniès
« Avant l’aube », Xavier Boissel, Grands détectives/10/18.