Rendez-vous à Coutances le jeudi 25 mai, aux Unelles, 18h30
Bonjour,
Cette année, l’horaire n’est pas au top – comme on dit à la télé, je sais il ne faudrait pas l’utiliser – et le jour non plus même s’il s’agit d’Ascension. Une ascension vers la mémoire du jazz, la mémoire du 20e siècle. Le jazz s’inscrit dans l’histoire du 20e, il en rythme les ruptures.
Il s’inscrit aussi dans la naissance du 20e siècle. La guerre, la Première Grande Boucherie Mondiale, marque la fin du 19e siècle qui avait duré de 1750 à 1914, un long 19e de naissance et de développement du capitalisme industriel. La première révolution industrielle, la machine à vapeur, avait révolutionné le travail et les emplois. Le partage du monde entre les grandes puissances industrielles, la Grande-Bretagne d’abord, la France ensuite, via le colonialisme allait dessiner une nouvelle planète et construire de nouvelles idéologies, la Nation lié à un récit linéaire de l’Histoire et le racisme comme l’antisémitisme.
L’Allemagne, nouvelle grande puissance industrielle, voulait changer la donne, prendre sa part de gâteau planétaire. La grande guerre fut d’abord une guerre de partage du monde. L’alliance Grande-Bretagne/France reflétait la peur de ces déjà vieilles puissances.
Le jazz allait surgir dans ce ce siècle, résultat de la barbarie des traites négrières, de l’exil forcé de millions d’Africains devenus esclaves dans les plantations du Sud des Etats-Unis, suivant une image en forme d’idée reçue. L’esclavage existait aussi dans le Nord, particulièrement visible dans le port de New York au milieu du 19e et au marché Sainte Catherine. La Nouvelle Orléans n’avait pas le monopole de la vente d’esclaves à Congo Square., place qui allait devenir un lieu de rencontre le dimanche pour danser au son de ces musiques étranges où les tambours tiennent une très grande place en faisant une place à cette religion née, comme le jazz et le blues du processus d’acculturation, le vaudou.
La connaissance de ces musiques issues de cette fusion, des musiques noires – elles sont créées par ces anciens esclaves dans un mouvement d’appropriation de leur nouvelle nationalité – suppose de par leur dimension d’oralité l’enregistrement. Sans lui, nous ne savons pas quelle type de musique était jouée. Le disque joue un rôle essentiel de support, de mémoire et de marchandise. Comme le cinéma, cet art est lié à l’industrie, à la mise en valeur d’un capital. Le disque a, pour le moins, une double vie. Objet d’art, la musique de jazz qu’il contient est irréductible à nulle autre, il est pourtant aussi marchandise, l’objet d’une reproduction à l’identique qui a pour but d’être vendu sur un marché et générer du profit. Le 78 tours qui nait dans ces années de guerre et remplace le « rouleau » inventé par Edison, permet une diffusion de masse.
Lorsque les membres du quintet de l’Original Dixieland Jazz – en fait on écrira « Jass » pour ne pas choquer – propose la réalisation d’un 78 tours – deux faces rappelons-le – ils se font éconduire. Le risque est trop grand. personne ne sait s’il existe un marché. RCA Victor prend le risque. Sur la base d’un succès du quintet dans les clubs new-yorkais, succès limité par le nombre restreint de spectateurs. Risque récompensé :le succès est au rendez-vous.
Ce 78 tours sera enregistré le 26 février 1917, quasiment – à 10 jours près – au moment où commence la révolution russe dite de « février » – elle débute en fait le 8 mars pour notre calendrier, journée internationale des femmes – sera mis sur le marché en avril et non pas en mars comme on l’écrit souvent. La sortie du 78 tours avait subi un retard d’un mois.
En avril 1917, les Etats-Unis déclare la guerre à l’Allemagne. Un régiment spécial, le 369th régiment d’infanterie, débarque le 31 décembre 1917 et le 1er janvier 1918. Il est sous la direction du Lieutenant James Europe, déjà chef d’orchestre reconnu et militant des droits civiques et composé de musiciens noirs recrutés en partie à Harlem. Cet orchestre subir, comme toutes les troupes engagées dans cette guerre, des pertes énormes. Les « gueules cassées » seront aussi noires américaines…
Ils seront décorés, cités sans que l’armée américaine ne songe un seul instant à reconnaître leurs mérites. Les troupes françaises surnommeront ce régiment les « Harlem Hellfighters”, les combattants de l’enfer.
L’orchestre fera une tournée triomphale en France devant des parterres nombreux qui réagiront favorablement. Pour la petite histoire que je raconte dans mon livre à paraître, « Le souffle de la révolte », la première que les membres de l’orchestre de la Garde Républicaine entendent ces musiciens, ils pensent qu’ils ont trafiqué leurs instruments. Une fois le concert terminé, les musiciens français fouillent les affaires de leurs collègues américains sans rien trouver bien évidemment. Les Français sont obligés de se rendre à l’évidence, c’est leur manière de jouer, de se servir des instruments qui changent la sonorité. Pour dire que le jazz réinvente les instruments traditionnels des fanfares.
Le jazz prenant la suite du ragtime et s’universalisera rapidement…
Cette mémoire est aussi la notre. Elle est nécessaire pour comprendre sa place et les références qui existent encore. Le jazz ce n’est pas seulement une technique musicale c’est aussi la mémoire de toutes les luttes pour la dignité et l’émancipation. Lorsque le jazz oublie sa dimension de révolte, il n’est plus qu’une ombre…
Le jazz s’inscrit dans l’Histoire. Il en est une des dimensions…
Si vous êtes à Coutances en ce jeudi de l’Ascension, passez faire un tour aux Unelles… Je vous y attend.
Nicolas.
Quelques illustrations musicales
Comme il se doit débutons par l’Original Dixieland Jazz Band (ODJB pour la suite) avec « Livery stable blues », soit le blues de l’étable. La manière d’utiliser les instruments permet de comprendre la surprise des musiciens de la Garde Républicaine. Enregistré le 26 février 1917, commercialisé en avril.
Toujours l’ODJB pour « Dixieland Jazz Band One-step » Le batteur est à écouter attentivement, même date, l’autre face du 78 tours.