Jazz, retour aux sources prénatales

L’Arménie au cœur.

Ce n’est jamais une bonne idée que d’ignorer ses racines, qu’elles soient réelles ou imaginaires. Le jazz, musique ouverte, a toujours permis l’arrivée de nouveaux affluents. Par définition, il ne se refuse rien. Il lui arrive d’être submergé par des crues de ses ruisseaux, fleuves qui se transforment en mer, océan et dans lequel – provisoirement ? – il se noie.
Claude Tchamitchian, dans « Need Eden » – besoin d’un Eden, d’un Paradis ? – a décidé de renouer tous les liens de son histoire familiale et de son parcours de contrebassiste fortement ancré dans le « free jazz » et dans le jazz tout court. Les compositions, synthèse quelquefois, collages pour d’autres sont adaptées à son tentet. « Acoustic Lousadzak », nom de la réunion de ces 10 musiciens, tracent des itinéraires pour le moins curieux à travers trois suites : « Éveil », « Lumières » et « Passages » sorte de début d’une autobiographie dont on attend la suite. « Les promesses de l’aube » sont inscrites dans le noir de nos rêves, de nos fantasmes qui se développent dans le noir avec cette peur ancestrale pour dessiner des « Montagnes intimes » ouvertes aux « Lumières ». « Imaginer l’éternité » dans l’aube resplendissante, se croire soudain éternel pour « Laisser et se laisser » tomber dans « L’ivresse du chemin » pour « Rire de mourir » « Encore » et regarder « De l’autre côté d’où tu es né ».
Écrire avec des mots cette musique, c’est permettre d’entrer dans un monde étrange où cohabitent plusieurs cultures quasiment incarnées par les musicien-ne-s participant à l’aventure. Une musique très écrite qui laisse à chacun-e la possibilité de l’incarner avec ses émotions.
Il faut quand même dire que le type de jazz ici n’est pas traditionnel. Peut-être faudrait-il trouver un autre nom ?

Alexis Avakian, saxophoniste, flûtiste et guitariste, mêle les influences. Celle de Archie Shepp avec une sonorité moins « terreuse », celle de l’Arménie et toute celle qu’il rencontre sur son chemin ou apportée par les musiciens avec qui il collabore. Artyom Minasyan apporte, au doudouk ce qu’il faut de l’Arménie, Fabrice Moreau de cette élasticité de la batterie capable de tous les dépassements sans rien renier de son passé, Ludovic Allainmat, pianiste et Mauro Gargano, contrebasse forment un couple rythmique donnant une assisse stable aux compositions du saxophoniste-leader. « Hi dream », bonjour rêve », est une ouverture vers d’autres mondes reposant sur les mondes d’hier et du présent. Chaque titre appelle une référence, d’un ami, d’un organisateur de spectacle ou d’autres sans compter « Lullaby » qui fait appel au conte de fées, une conclusion nécessaire dans notre monde moderne, barbare et sans pitié. Il lui maque cette hargne, cette colère qui se trouve au cœur du son de Archie Shepp. Souhaitons-lui, pour qu’il puisse se dépasser, de devenir méchant…
Nicolas Béniès.
« Need Eden », Acoustic Lousadzak, Claude Tchamitchian tentet, Label Emouvance, distribution Absilone/Socadisc ; « hi dream », Alexis Avakian, Paris Jazz Underground, Absilone/Socadisc.