Une madeleine qui ne mange pas de pain.a
Qui ne connaît cette fameuse image de Proust de la madeleine censée raviver des souvenirs lointains abandonnés dans l’inconscient ? Les madeleines sont aussi diverses que le lac qui baigne notre cerveau fait de sensations diverses capables de nous projeter dans le passé ?
Pour plusieurs générations successives – et pas aussi vieille que Jean d’Ormesson qui sert de parrain à cette édition et pas forcément de droite – le « Larousse » a été, avant l’apparition du Robert qui a changé la donne, l’outil de la découverte du vocabulaire. Pas seulement des mots mais aussi de ces fameuses « pages roses » dont Goscinny s’est beaucoup servies pour construire les dialogues de ses aventures d’Astérix. Que serait le Jules César de cette BD sans les pages roses ? « Alea Jacta est » parle à toutes ces générations. Nous savions, avant même d’étudier le latin, que les « dés étaient jetés » pour Jules avant même de franchir le Rubicon, un ru qui longe Rome dans la campagne avoisinante. Cet apprentissage se fera à partir de cette étincelle rose.
Pierre Larousse – à ne pas confondre avec la police que l’argot parisien nomme la rousse -, né en 1817, a consacré une grande partie de s a vie à dessiner les mots de la langue française pour que chacun, chacune s’approprie cette langue française. Il avait aussi compris qu’elle était évolutive et qu’il fallait ouvrir les oreilles pour, avec un temps nécessaire de retard, introduire les mots de la jeunesse.
Deux cents ans plus tard – le temps passe vite -, le « Petit Larousse » – les autres ne font pas partie de la catégorie « madeleine » – est toujours là. Il fait un peu plus de 2000 pages et se trouve de nouveau divisé en deux par les pages roses, première partie les noms communs, deuxième partie les noms propres. J’écris « de nouveau » sans savoir si les éditions précédentes n’étaient pas déjà sur ce modèle des jeunes années de Jean d’Ormesson. J’avoue ne pas posséder, ni avoir vu toutes les éditions du Larousse depuis la folle jeunesse de d’Ormesson.
Mais celui-là est, pour moi cette fois, un condensé de sensations, de souvenirs de cette École tant décriée aujourd’hui mais qui savait assimiler tous les étranges étrangers que nous étions, du Breton au Normand en passant par tous les autres. Dans l’après seconde guerre mondiale, les étrangers ne manquaient pas. L’école maternelle de proximité a permis à tous ces enfants d’immigrés de se saisir de la langue française. Le « Petit Larousse », avec sa couverture rouge passé – d’après mes souvenirs le rouge passé devait être sa couleur d’origine – servait de guide dans un maquis sans nom de règles bizarres qui faisaient la joie de tous les coupeurs de cheveux en quatre et même en huit. Souvent, un premier de la classe s’était donné pour but d’apprendre le dictionnaire par cœur. Il nous faisait rigoler avec ce savoir souvent inutile dans la vie de tous les jours. Je le revois pourtant nous disant à quelle lettre il en était arrivé. A-t-il été jusqu’au bout ? Je ne le saurai jamais ni ce qu’il est devenu.Des souvenirs partagés même si le visage change…
Un dictionnaire comme celui-là, c’est aussi la découverte de noms inconnus à côté de noms connus, connus par les monuments, ces « lieux de mémoire », mémoire morte alors que le dictionnaire nous rend vivants ces inconnus de nous en ouvrant des horizons. Ouvrir un dictionnaire au hasard, c’est partir pour des voyages étranges.
Il fallait bien que cette édition 2017 – toujours la volonté d’avoir un temps d’avance – intègre la dimension Internet. Une carte même pas magnétique, avec un code dit « clé d’activation », permet d’avoir accès au « dictionnaire Internet », une nouvelle madeleine pour la génération d’aujourd’hui.
Nicolas Béniès.
« Le Petit Larousse illustré 2017 », éditions Larousse, Paris 2016.