Histoires de Belfast
L’Irlande du Nord a toujours été à feu et à sang. L’occupant anglais n’a guère laissé de choix. La coupure Protestant/Catholique n’est pas religieuse mais politique. Les uns sont liés aux Occupants, les autres se sentent occupés. La guerre a été meurtrière.
Comme dans chaque conflit – en particulier dans le cas d’une guerre civile – les intérêts de pouvoir et de richesse priment, pour certains, sur la lutte idéologique. Pour financer la guerre, il faut de l’argent et tous les trafics trouvent leur justification.
Cette partie de l’Histoire se retrouve dans les polars, ceux de Stuart Neville – né en 1972 – surtout qui en fait la trame de ces intrigues dans la lignée, suivant ses propres dires, de James Ellroy mais un Ellroy non corrompu par le système.
« Collusion » est une histoire d’amour triste et sombre comme il se doit. Quelque chose de Roméo et Juliette. Shakespeare est, signalons-le en passant, un grand inspirateur des polars. Ici, Jack Lennon est flic et s’est marié avec la fille du truand principal de la Ville. Rejet des deux côtés. Dans ce Belfast ce n’est pas suffisant. Le flic, membre donc des forces spéciales chargées de la lutte « antiterroriste » – comme on dirait aujourd’hui – est issu de la communauté catholique. Deuxième rejet, par sa famille cette fois mais aussi par les forces de police elles-mêmes qui n’arrivent pas à lui faire confiance. La figure du traître en quelque sorte, de Judas. Judas est essentiel. Sans lui, Jésus n’existerait pas.
Jack – John évidemment – a eu une fille, Ellen, qu’il n’a jamais serré dans ses bras. Il a trahi sa compagne avec une policière qui l’a fait accuser de harcèlement… Cette petite fille de 6 ans est issue visiblement des contes celtiques. Elle sait tout de ces hommes « de main », de ces tueurs. Ils croient qu’elle est capable de percer tous leurs secrets. Les plus intimes. Comme si Stuart Neville voulait, malgré tout, leur accorder un peu d’humanité…
Quatre autres figures complètent le tableau. Le boss de la truanderie locale qui veut se venger du tueur – Gerry Fegan – qui l’a cloué sur un fauteuil, corrupteur terrifiant, sa fille qui lui sert de domestique et d’infirmière, enfin Le Voyageur – il n’a pas d’autre nom pour signifier qu’il est Rom – apparemment dépourvu d’émotions, tueur sans remords. Belfast n’est pas seulement la toile de fond, c’est aussi un des personnages de cette saga.
Le sang coule de tous les bords. Un monde absurde, du bruit et de la fureur, une vengeance imbécile pour dessiner une horreur de tous les instants. Exagéré ?
Un style efficace, des personnages bien dessinés dans une lutte acharnée contre la mort, contre la déchéance des corps pour vivre, s’affirmer au monde de toutes les façons possibles. Autant dire que les considérations idéologiques sont absentes. Par contre, la corruption est présente à tous les étages et dans toutes les strates de cette société.
Nicolas Béniès.
« Collusion », Stuart Neville, traduit par Fabienne Duvigneau, Rivages/Noir