Pour que vive Don Byas.
Carlos Wesley – ses prénoms pour l’état civil – Byas est un musicien un peu ignoré de nos jours. Les temps sont durs pour le jazz et ses incarnations. A n’en pas douter Don Byas fut une de celle-là. Né à Muskogee dans l’Oklahoma, dans une famille musicienne qui unit un père d’ascendance espagnole et une mère Cherokee, pianiste occasionnelle il suivra des études classiques de violon et de clarinette. Les « cultural studies » très en vogue aux États-Unis à partir des années 1980 ont fait la part belle à la description de la vie culturelle de ces villes moyennes américaines. Elles permettent de comprendre les influences qui pèsent sur les apprentissages. Pas seulement musicales en l’occurrence mais aussi environnementales – dans le sens d’un contexte spécifique.
Particulièrement, en ce qui concerne le jazz, la place des « Territory Bands », ces orchestres confinés dans le périmètre d’un territoire, d’un Etat. Souvent, ils n’ont eu aucune reconnaissance nationale à l’échelle des États-Unis faute d’un imprésario qui pouvait les faire monter à New York. L’aventure du Count Basie Orchestra, « découvert » par John Hammond en écoutant une radio de Kansas City n’est pas transposable. Il est même vraisemblable que cet orchestre a empêché d’autres d’être reconnus. Ce n’est pas la faute du Count et de ses hommes ni des chefs d’orchestre mais d’un « effet de système » qui exclut.
Ces orchestres dits « Territory » sont une pépinière de talents et un lieu de transmission de l’héritage, un lieux de mémoire. Les études faites aux États-Unis sur l’Oklahoma insistent sur leur rôle même s’il est difficile, faute d’enregistrements, de se faire une idée précise de leur manière de jouer.
Don Byas participera à ces orchestres. Il y fera son apprentissage, subira les influences puis aura le choc de sa vie en écoutant Coleman Hawkins. Il passera au ténor. De cet instrument, il travaillera la technique du son. Pour se faire reconnaître, il projettera la note très loin avec une puissance rare. Jean-Louis Chautemps, saxophoniste, affirme – et il faut le croire – que les enregistrements ne peuvent rendre compte de cette émotion à l’écoute « live » du Carlos du jazz.
Pourtant, et cette sélection proposée par Alain Tomas l’indique, le son est présent. Lors du premier enregistrement, en 1938 – il a 26 ans mais Lester Young enregistrera son premier 78 tours à 29 -, réalisé par le baron Timme Rosenkrantz, sa courte intervention tranche avec les autres. Le son du ténor nous transperce encore. Une performance.
Les enregistrements, proposés dans l’ordre chronologique, permettent de suivre le parcours d’un ténor qui, certes, se situe dans le lignée de Coleman Hawkins mais possède son univers. Il aura un très grand rôle en Europe où il s’installe après la deuxième guerre mondiale. Il est venu avec l’orchestre de Don Redman et ne repartira pas.
Don Byas conservera son ancrage dans la période dite « Swing ». Comme Hawkins, il fera preuve de la même capacité d’adaptation à des styles, à des musicien(ne)s différent(e)s en y jouant un rôle de premier plan et non pas de figurant. Il sera l’un des vecteurs de la diffusion du be-bop en Europe, en France, en Suède où il résidera mais aussi en Catalogne. Tete Montoliu en témoignera. Des enregistrements subsistent de son passage en Espagne. Son amour des femmes aussi proverbiales que sa tendance à abuser du whisky le conduira à engager un trio de musiciennes pour quelques-unes de ses prestations. Dont Mary-Lou Williams qu’il avait rencontrée dans l’orchestre de Andy Kirk à la fin des années 30…
En France, il jouira d’une grande reconnaissance qui lui permettra d’enregistrer abondamment via les labels Swing, Blue Star – Boris Vian disait qu’il « vaut mieux Blue Star que jamais » mettant ironiquement en cause la politique des Barclay -, Vogue, enregistrements repris dans le volume 2 de cette anthologie. Cette période des années 1950 le verra se spécialiser dans les ballades dont la musique du film d’Otto Preminger sorti en 1944, « Laura », qui deviendra sa marque de fabrique. Il reste que l’appréciation d’André Hodeir reste juste, Byas en rajoute un peu, mais le disque ne nous permet de distinguer que l’écume de sa sonorité de ténor.
Puisse cette rétrospective de l’œuvre de Don Byas le ramener à la vie, à l’écoute pour lui redonner toute sa stature, sa dimension.
Nicolas Béniès
« Don Byas New York – Paris, 1938 – 1945 », coffret de deux CD, choix et présentation de Alain Tomas, Frémeaux et associés.