Une nouvelle vocaliste : Indra Rios Moore.
C’est toujours une bonne nouvelle une vocaliste qui veut, à son tour, marquer le paysage. C’est le cas avec Indra – un nom qui signifie, paraît-il, guerrier venu du ciel dans la mythologie hindoue -, fille du bassiste Donald Moore,1résidant au Danemark. Une sorte de trait d’union entre les continents. Une carte de visite.
Indra a décidé de se servir de toute les traditions, de toutes les cultures, du gospel, du blues et du jazz et d’autres pour tenter de se frayer une route dans ce monde encombré par ses passés recomposés comme autant de conformismes et de dogmes. La marchandise exerce ses effets, reproduire à l’identique ce qui a déjà été fait. Pour les hommes de marketing, c’est une sûreté.
Indra possède une touche de toutes ces grandes musiciennes capables d’émouvoir, de transformer des vies, de donner ce goût formidable – terrifiant et étonnant – de l’amour fou, absolu dans des mondes qui ne manque tant. C’est le drame de Billie Holiday, au-delà de sa biographie. Trop d’amour tue le monde qui se venge par ses flics et sa répression. Une femme libre, pensez donc…
Indra donc prend en compte cette dimension en même temps qu’elle n’oublie pas cette musique qui colle à la peau de ces Etats-Unis trop souvent racistes. Elle veut dépasser l’opposition Blancs/Noirs pour s’orienter vers une musique universelle.
Elle nous fait partir en voyage, en train forcément pour aller à la rencontre de contrées perdues et forcer ce voyage immobile, dangereux. Il est possible de se laisser bercer, de s’endormir au son de cette voix légèrement aérienne qui a oublié les « growls » de Bessie Smith mais se souvient des grandes chanteuses de la country and western, grandes chanteuses à la biographie tout aussi chargée que celle de Billie.
Le blues est omniprésent en même temps qu’une filiation avec l’univers de Duke Ellington. Duke aimait ces voix éthérées. Dans ce même mouvement, toutes les références se mêlent et s’emmêlent pour faire place à une voix qui commence à devenir originale.
Il paraît que cet album, « Heartland », a été auto-produit et publié par le label Impulse. Du beau travail. Même si on appréciera plus ou moins les tentatives diverses qui meublent ce premier opus d’une carrière qui devrait être longue. Elle lorgne du côté de l’Amérique latine, de l’Europe et invoque même la déesse Yoruba de la féminité (mais aussi de l’amour), Oshun, tout en conservant son identité. Un signe. Un premier album, on le sait, c’est toujours trop.
Le saxophoniste ténor, Benjamin Traerup – compagnon de la dame -, regarde beaucoup du côté d’un saxophoniste un peu oublié, Eddie Harris. Les inflexions de son jeu viennent directement de ce musicien. Le reste du groupe, Sejsthen à la basse – un dialogue basse/voix débute « Solitude » dans la lignée de Sheila Jordan par exemple – et Ulfe Steen à la guitare, est à l’unisson.
Le tout s’écoute avec intérêt et plaisir même si j’aimerai, de temps en temps, un petit plus de folie, de sortir du cadre…
Nicolas Béniès
« Heartland », Indra Rios Moore, Impulse ! (Universal)