Facettes de Pierre Millet.
Pierre Millet, pour ceux et celles qui l’ignoraient encore, est trompettiste, cornettiste, bugliste mais aussi amateur de jouets auxquels il ne sait pas résister à partir du moment où ils sont créateurs de sons, tout en sachant se servir, à bon et à mauvais escient, de platines vinyle pour agrémenter ses compositions en jouant des références troubles et troublées.
L’an dernier, à cette même époque – je ne l’ai pas chroniqué pour une raison indéterminée, le CD est resté enfermé sous d’autres – il sortait un album « Ana Kap », en trio. Un drôle de trio, un de ceux qui ne fait pas penser à un trio. Son cornet s’associait à un violon, Manuel Decocq et à un accordéon, Jean-Michel Trotoux pour une musique dont les racines se trouvent du côté de l’expressionnisme allemand de ces années 1920, de Hans Eisler plus que Kurt Weil. Une musique qui permet de se retrouver dans un de ces cafés à Vienne pour croiser Freud ou Stefan Zweig écrivant « Le chef d’orchestre en l’honneur de Gustav Mahler – son ombre flotte aussi sur cette musique – ou d’autres, fantômes d’une culture en train de sombrer.
Ce trio fait voyager pour visiter un peu la musique tzigane, celle des Balkans, des musiques faites pour la danse, la réflexion, la mélancolie, une joie de vivre mâtinée des malheurs d’un monde qui n’en manque pas. L’évocation des fables d’un dénommé Lafontaine conforte ces sensations. Elles ne sont pas là que pour la décoration ou démontrer que la culture c’est comme la confiture moins on en a plus on l’étale… Faites donc un détour par cet album étrange mais pas étranger…
Un an plus tard, soit maintenant (avril 2015), changement de groupe – « S’il te plait madame » est-ce vraiment un nom de groupe ? – et d’atmosphère, pour faire référence à Arletty dans « Hôtel du Nord », pour une rencontre entre « the king and the queen of a senior citizens dance ». Le lieu reste un peu mystérieux…
Pierre laisse la place à son jumeau, contrebassiste, Mathieu – avec un seul « t », une erreur sans doute de transcription – pour des compositions pleines d’énergie et dans la lignée d’un jazz d’aujourd’hui dont les références se trouvent chez Rollins et chez Coltrane ainsi que chez les frères Brecker. Quelque chose que l’on pourrait du « hard free jazz », sous entendu que cette musique peut faire bouger les corps mais ne se refuse pas à aller sur les terres labourées autrefois par le free jazz. Une musique qui se résolument de notre temps…
Un « pianoless quartet » pour donner vie à ces titres un peu tarabustés – « varicelle », « le ze », « perruques et postiches » pour aller jusqu’à « Hamlet » et « Vera Cruz » et j’en oublie pour laisser le plaisir de la découverte. Un quartet sans piano mais avec saxophone, baryton et ténor, Fabrice Theuillon (aussi compositeur) et batterie, Emmanuel Penfeunteun (aussi compositeur). Le seul à ne pas avoir composé c’est…Pierre ! Un coup de fainéantise ? Ces compositions pourtant il les fait vivre.
L’auditeur est emporté par la force des ces quatre là, par la vie qu’ils donnent à ces compositions, par les changements de climat et par l’ironie qu’ils partagent. N’hésitez pas, plongez. Cette eau là vous emportera vers la liberté, le rêve toujours renouvelé pour construire des mondes différents, des mondes qui savent renouer les fils de la mémoire, ce travail nécessaire.
Nicolas Béniès.
« Ana Kap », Decocq/Millet/Trotoux ; « the king and the queen of a senior citizens dance », S’il te plait madame, Petit label, tirage 100 exemplaires à commander www.petitlabel.com
PS Ana Kap sera en concert à Jazz Sous les Pommiers (Coutances), le dimanche 10 mai à 14h30 et 17h au Magic Mirror, cette construction étrange, une tente qui n’a pas l’air d’une tente construite pour… les fêtes de la bière. Il faut dire que cet environnement convient très bien à cette musique qui n’a pas forcément la bière gaie… N’hésitez pas, allez les voir et entendre…