Illustration de la diversité du polar.
Deux orientations du polar sont illustrées par deux auteurs venus d’Allemagne. Le premier, Wolfram Fleischhauer, s’alimente de l’actualité la plus brûlante, la crise financière en l’occurrence et la corruption qu’elle a dévoilée, le second, Oliver Pötzsch, de l’Histoire.
« Torso » s’inscrit à la fois dans l’actualité de la crise systémique du capitalisme actuel, des formes de sauvetage des banques menacées de faillite par la crise financière qu’elles ont provoquée mais aussi dans la coupure toujours présente entre les Allemands de l’Est – l’ex-RDA – et ceux de l’Ouest. Les crimes de la Stasi font encore partie des titres des journaux à intervalle régulier et s’inscrivent dans le présent. Les méthodes barbares utilisées par la police secrète ont provoqué des cancers et des morts lentes sans parler de la torture.
Wolfram Fleischhauer décrit ce contexte à l’intérieur même de la police allemande via la sensation de ces officiers de police qui ne se sentent pas totalement acceptés. Tous et toutes semblent avoir quelque chose à se reprocher. En même temps, certain(e)s n’ont pas perdu leurs convictions. Le socialisme serait mieux que ce capitalisme corrompu qu’ils et elles ont devant les yeux.
L’auteur décrit aussi ces lieux de perdition – et que la morale réprouve – où la marchandise règne en maîtresse pour tous ces managers en quête de sensations et d’abandons. Une sorte de plongée dans l’Allemagne d’aujourd’hui guidée par la loi du profit maximum et à court terme. Perte totale de valeurs, de références et même de mémoire. Une génération qui se voudrait sans passé – elle est sans avenir – pour jouir du moment présent.
Le seul point faible de l’intrigue se trouve dans l’analyse de la crise financière qui ferait dresser les cheveux des économistes non libéraux, non gangrenée par cette idéologie dominante. L’auteur insiste beaucoup trop sur la dette, alors que la question centrale est celle de la profitabilité mise à mal par la création de produits financiers censés réduire le risque. Les interrelations entre la finance et le politique sont justes mais manque d’explication. Ce ne sont pas seulement les hommes qui truandent pour leur intérêt personnel, c’est aussi des effets d’un système qui ouvre grande la porte à toutes les fraudes. La corruption est omniprésente mais, contrairement à la piste que propose l’auteur, a des causes différentes de celles du passé via des reproductions italiennes trouvées dans les livres anciens.
Faute de se faire économiste, Fleischhauer a su construire un roman dans lequel se découvrent quelques pans de notre réalité, réalité tragi-comique comme il se doit, d’un monde qui ne sait plus où il va.
Il oppose les deux univers de ce capitalisme financier. L’extrême richesse toujours proche de l’illégalité où se côtoient sans se fréquenter les Allemands de l’Est et de l’Ouest – les anciens tortionnaires sont devenus des « truands légaux » – et l’extrême misère d’une société qui ne sait que rejeter tous les talents à partir du moment où ces êtres humains veulent sortir du moule pour vivre une vie différente de celle proposée par cette forme de capitalisme en train de pourrir et de pourrir toutes les relations humaines. La solution se trouve-t-elle dans l’éloignement du monde ?
Paradoxalement, le roman « historique » de Oliver Pötzsch est plus optimiste. Les méchants sont punis et les « bons » triomphent. Une bien trop belle histoire mais qui se lit avec intérêt. Une histoire de famille, semble-t-il, que « La fille du bourreau ». En 1659, à Schongau, en Bavière, vivait un bourreau, Jakob Kuisl, ancêtre de l’auteur. Un bourreau un peu guérisseur, un peu savant au fait des dernières découvertes de la médecine, une médecine rejetée par le corps médical autorisé qui fait peur mais que les habitants consultent. Un géant qui fait autorité.
Des enfants sont assassinés, des orphelins. Pourquoi ? Les édiles vont au plus simple. Une sorcière qu’il faut trouver. La vieille – 40 ans ! – sage femme fera l’affaire. Il faut la faire avouer. C’est le travail du bourreau qui pense que la dame n’est pas coupable. Il est pourtant obligé de faire son travail.
Cette intrigue minimaliste est un prétexte pour nous faire entrer de plein pied dans ce monde étrange de la Bavière du milieu du 17e siècle. Il est à des milliers d’années-lumière de nous, de notre environnement. Pötzsch réussit, par la grâce de son héroïne, Magdalena, jeune femme libre, à nous entraîner dans cette enquête. La découverte des conditions de vie, des instances de pouvoir est plus parlante que bien des livres d’histoire.
Par contre, le bourreau logiquement rejeté par toute la population, envahit toutes les pages de sa carrure. Un superhéros ! Dommage, un peu de noirceur n’aurait pas nuit à la véracité de cette histoire.
Nicolas Béniès.
« Torso », Wolfram Fleischhauer, traduit par Sabine El Sayeh, Jacqueline Chambon/Noir ; « La fille du bourreau », Oliver Pötzsch, traduit par Johannes Honigmann, Jacqueline Chambon/Roman policier historique.