Les disques prioritaires
Sam Rivers’ Rivbea All-Star Orchestra : « Inspiration », RCAVictor/BMG.
Cet album mérite son titre. Oui, Sam Rivers, saxophoniste ténor et soprano, flûtiste est inspiré et son grand orchestre tourne au quart de tour comme une machine bien huilée qui aurait des années de route derrière elle. Ce n’est pas le cas pourtant. Il faut croire que, dans le studio, la magie du jazz était là, que c’était fête. Pourquoi cette euphorie ? Personne ne répondra. Elle est là, c’est l’essentiel. Le jazz montre toute son étendu de sons, de couleurs, de références, de joie de jouer, de rire, de peurs, d’angoisse, de larmes. Tout est là soudain, dans nos oreilles. La fraternité, la liberté, l’égalité composantes essentielles de cette musique-art-de-vivre qui sait se dépasser et continuellement, sont présentes. Sam Rivers nous apparaît sous les traits d’un jeune homme – il a en fait 68 ans, il est né en septembre 1930 – capable de s’étonner et de nous étonner, retrouvant une certaine naïveté non dénuée de rouerie pour nous faire entrer dans son monde. Un album qui sera l’album de l’année qui commence. Le compositeur a retrouvé là le bonheur de composer, d’improviser avec un orchestre de jeunes et de moins jeunes qui ont subi son influence et qui le connaissent bien, comme Steve Coleman, Chico Freeman, Ray Anderson, Joseph Bowie… Il faudrait tous les citer… Ne vous laisser pas influencer par les clichés qui traînent dans les têtes sur le « Free-jazz » inécoutables. Sam Rivers a cette réputation. Oubliez vos préjugés. Entrez dans le monde de Sam Rivers. Vous en resterez sur le cul.
Nicolas BENIES.
Steve Coleman and Five Elements : « The Sonic Language of Myth, Believing, Learning, Knowing », RCAVictor/BMG
Dans cette suite sur les le langage des mythes – Croyance, Apprentissage, Connaissance – la saxophoniste alto Steve Coleman veut nous amener au pays des songes. Il le fait avec un sens de l’air du temps qui assoit. Une fois passée la première surprise, on ne peut s’empêcher de penser que derrière les apparences de la création, Steve Coleman dissimule un grand vide. Que veut-il démontrer ? Quels sont ses démons ? Peut-il, veut-il transcender la tradition, l’air du temps – le rap, le hip hop, la musique électronique – pour redonner du souffle au jazz qui en a besoin ? La réponse est absente. Malgré des invités qui savent donner le petit quelque chose qui rehausse l’intérêt de l’album – Jason Moran, pianiste qui vient de sortir son premier album pour Blue Note, « Soundtrack to Human Motion », un talent prometteur tout comme le vibraphoniste Stefon Harris, lui aussi à la tête d’un premier album sous son nom pour Blue Note, distribué par EMI, « A Cloud of Red Dust », et d’autres -, Steve Coleman reste sur le bas côté, entre culture et mélancolie.
NB
DEWEY REDMAN/CECIL TAYLOR/ELVIN JONES : « Momentum space », Verve, distribué par PolyGram – devenu Universal.
Une rencontre. Une vraie. De géants. Cecil Taylor, pianiste et compositeur a su chambouler les mondes du jazz dans les années 60 en commençant par visiter l’univers du Duke – Ellington, pour ceux qui n’auraient pas suivi le film – en se servant du piano comme un instrument de percussion, avec une vitalité qui laisse pantois tous les auditeurs. Je ne rate pas un concert de Cecil Taylor… Elvin Jones, LE batteur de ce temps dessinant, créant un espace-temps spécifique, original pour Coltrane, participant aux nouveaux battements de notre cœur de notre monde, une force de la nature. Dewey Redman, le moins connu des trois peut-être. D’une modestie à toute épreuve, d’un son de saxophone qui ressemble à toutes les épreuves de la condition humaine, une volonté de fer pour faire entendre sa voix qu’il voudrait être la voix de tout le monde, une voix qui ne fait pas pleurer les jeunes filles mais rire tout le monde dans une communion de fraternité.
Ils auraient pu céder à leurs facilités et que cette réunion nous laisse sur notre faim. Là, pas du tout. C’est une vraie discussion. Chacun y met du sien. En duo, Elvin/Cecil un grand moment, comme Dewey/Elvin faisant irrésistiblement penser à Coltrane et à Rollins. Un album réellement de jazz.
NB
Maraca & Otra Vision: Sonando !, Ahi-Nama, distribué par WEA.
La musique cubaine est à la mode. Des albums plus ou moins bons fleurissent ici ou là. Parmi les moins bons figure celui de Irakere avec son fondateur Chucho Valdès, « Yemayà » (Blue Note distribué par EMI), beaucoup trop bavard. Parmi les premiers figurent l’étoile montante de Cuba, Orlando « Maraca »Valle, flûtiste et responsable du groupe Otra Vision. L’album, enregistré à La Havane, voit défiler des invités prestigieux dont Compay Segundo, le chantre et le doyen – il a plus de 90 ans – du « Son », cette forme musicale spécifique qui se joue à l’économie avec deux guitares et une petite percussion. Et aussi David Sanchez, saxophoniste ténor à l’aise dans ces rythmes de son enfance. Surtout, surtout, l’orchestre lui-même qui fait danser renouant avec la fusion dialectique des musiques populaires et savantes. Laissez vous aller à danser et penser à Cuba et au blocus…
NB
Dianne Reeves : « Bridges », Blue Note distribué par EMI.
Dianne Reeves s’affirme avec cet album comme la grande chanteuse de notre temps. Elle continue son voyage et passe des ponts. Il suffit de le passer disait Brassens et c’est tout de suite l’aventure. C’est encore le cas ici. Rien ne lui fait peur. Elle reprend des compositions de Milton Nascimento – Bridges justement -, de Leonard Cohen pour les transformer en des chansons de…Dianne Reeves. Elle trouve des accents tellement justes que nous partons à ses côtés vers Mista, une de ses compositions, la réussite la plus éclatante de cet album. Ce devrait faire un tube. Essayez. Vous l’adopterez. Un seul standard, Make Someone Happy, qui clôt le disque. Une fin en forme de merci. Oui, Dianne, tu nous rends heureux !
Nicolas Béniès
PS Cette musique est à déconseiller aux esprits chagrins, aux « puristes » qui ont une idée de l’essence du jazz. Qu’ils passent leur chemin. Ce n’est pas pour eux. Tous les autres n’hésiteront pas.